Initiateurs, bien malgré eux sans doute, d'une sous-branche de l'electronica contemporaine, les deux membres de Boards of Canada avaient ramené avec The Campfire Headphase l'innocence et la nostalgie au premier plan, ainsi qu'un goût pour les couleurs passées, le souffle, l'érosion, tout ce qui - dans un autre domaine – fait depuis lors le succès d'applications telles qu'Instagram ou Hipstamatic. Mais le passé n'est plus ce qu'il était, et huit ans plus tard, le futur a pris un sérieux coup dans l'aile. Dans un monde en crise, saturé de son propre aveuglement, les Boards of Canada pourraient-ils se réfugier plus avant dans une bulle de bien-être faussement éthérée ? Probablement pas, et là n'est d'ailleurs pas le propos puisque Tomorrow's Harvest prend le parti de remettre les pendules à l'heure exacte et de réinscrire Boards of Canada dans son temps par delà une éternité de silence. Tomorrow's Harvest ne flatte pas la nostalgie, n'évoque pas l'ennui doux de l'enfance, mais bien plutôt ces angoissses d'une adolescence qui voit son monde se déliter avant d'avoir pu en profiter. Ici, les couleurs sont grises, bétonnées, les quelques voix présentes ont la dureté d'annonces brouillées de catastrophes imminentes, les beats se bloquent, les machines s'enrayent, se grippent en répétitions corrodées. Et lorsque réapparait, surgi des tréfonds, l'image de l'innocence chère à Boards of Canada, (« Cold Earth »), c'est pour mieux se laisser dévorer par une mélodie âcre et obsédante. Sans jamais se révéler agressif, Tomorrow's Harvest est un album hanté par l'extinction. Un peu comme si, pour reprendre un parallèle avec l'image, Boards of Canada avait, en changeant de filtre, gommé les teintes pastels pour les remplacer par des gris mordants aux contrastes acérés, portant de ce fait un regard renouvelé sur le monde. Et si l'on récolte ce qu'on a semé, alors ces moissons du futur ont le goût des cendres de toutes nos apocalypses passés et à venir.
Tout ouvert d’esprit que l’on puisse être, il devient exceptionnel qu’un disque parvienne à faire oublier les quelques milliers qui l’ont précédé, qu’il impose sa pureté comme une évidence inaugurale et qu’on sente d’emblée, au frisson qui nous remonte graduellement l’échine, que ce disque là, parmi tous les autres, est appelé à rester, à accompagner le fil de nos vies. Ce qui est d’ailleurs ni plus ni moins que ce que nous proposent Will Long, que l’on suit depuis des années sous son identité de Celer, et sa nouvelle compagne, Rie Mitsutake, qui a signé plus discrètement deux albums des plus recommandables en tant que Miko, avec leur nouveau projet commun, Oh, Yoko : d’être là, tout simplement, de partager avec eux des moments quotidiens, presque triviaux. Mais là où, par la force du deuil, Celer était tout entier habité par le drame et ses conséquences, Oh, Yoko est une grande respiration, un éclat de rire, une ouverture au monde et à sa beauté. Polychrome, I Love you… y brosse une quantité étonnante d’atmosphères variées, avec en filigrane, ce sens de l’épure et de la légèreté qui en fait un album éminemment japonais. A travers de multiples sources sonores, où l’électronique côtoie les instruments acoustiques, les jouets, les field recordings et la voix pâle et distanciée de Rie, I Love you… nous promène du murmure lumineux d’une « Love Song » impeccable, à la répétitivité angoisée et presque angoissante d’un parcours dans les transports en commun nippons (« Keio Line »), de la pop éthérée et électronique d’ »Ice Skating in the Dark » à son pendant acoustique, la chanson de feu de camp « Song with Coyotes », d’une énumération froide et factuelle sur fond d’électronique emballée (« I did this, I did that ») à un « Boïte de Nuit » délicieusement kitsch que n’auraient sans doute pas renié David Lynch tant il ressemble à ses apartés avec Julee Cruise au sein de Twin Peaks. En tous points parfait, ce premier album d’Oh, Yoko gagne même en pertinence au fil des écoutes, à mesure que l’on se coule dans les titres, que l’on s’installe, doucement, dans leur appartement, que l’on commence à rire des mêmes choses qu’eux, à voir les mêmes lumières, à sentir la même brise, au point de ne plus vouloir en repartir. Ces deux là s’aiment, c’est une évidence, souhaitons-leur (et souhaitons-nous) le plus grand bonheur possible. . |
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December 2013
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