Colossale prise de risques pour Peter Rehberg (Pita) et Stephen O'Malley (Sun O))) ), V est une remise à plat de tout ce à quoi nous avait habitué KTL sur ses précédents albums. Suite aussi inattendue que finalement logique de leurs évolutions respectives, V évacue ainsi tout le contexte rock dans lequel agissait KTL pour plonger à pieds joints dans l'ambient et la musique concrète. Enregistré sur une période relativement longue dans le légendaire studio suédois EMS et au GRM de Paris, deux institutions qui sont pour beaucoup dans le développement de la musique électronique « savante » au cours du siècle dernier, V propose des titres lents et dépouillés, évoluant dans des registres très bas, dépourvus des attaques noise habituelles de Pita. Allant jusqu'à faire orchestrer un des titres (« Phill 2 »), l'un des plus beaux moments de l'album, par Johann Johannsson accompagné de l'Orchestre Philharmonique de Prague, et recourant pour l'essentiel à des synthétiseurs modulaires, V est une magnifique oeuvre de musique expérimentale qui, tout en s'inscrivant dans la droite ligne des productions du GRM (et ce n'est sans doute pas un hasard si Editions Mego vient d'en entreprendre la réédition à travers une nouvelle subdivision), tire également parti de l'héritage musical de ses auteurs. Quant à leur goût pour les climats mortifères, on le retrouve pleinement sur « Last Spring : A Sequel », dont les vingt minutes terminent V d'une manière totalement inattendue. Basé sur une installation de leur comparse de longue date Gisèle Vienne, et porté par la voix grinçante et grand guignolesque de Jonathan Capdevielle, son histoire inspirée du mythe de Frankenstein très sobrement illustrée par KTL, est une magistrale plongée dans la folie créatrice d'un homme et dans l'innocence aveugle de son oeuvre de chair. Glaçant, à l'image de V, qu'il parachève brillamment, « Last Spring : A Sequel » dresse un pont entre ce qu'a pu être KTL et ce qu'il est devenu, une créature qui a décidé d'échapper à ses maitres pour les conduire vers un ailleurs imprévisible.