Oval et le chant : voilà une combinaison que l’on n’imaginerait pas forcément pertinente au premier abord, tant Markus Popp a su, sans doute mieux que personne, disséquer les entrailles des machines pour en extraire l’accident, le glitch, et le sculpter en textures hypnotiques. Mais cela, cette vie créative, c’était celle du Markus Popp d’avant O, l’album de tous les possibles, de la métamorphose, qui vit Oval s’ouvrir au monde et composer désormais à partir de bribes d’instruments réels. Pourtant, même dans cette seconde phase de l’œuvre d’Oval, il restait comme une distance, un aspect purement analytique qui observait ces créatures fragiles comme des expériences de laboratoire. Nouvelle avancée radicale chez un artiste qui n’a jamais eu peur de la prise de risques, Calidostópia! va donc beaucoup plus loin et introduit le chant, plaçant la voix au centre de ses seize titres. Enregistré en dix jours à Salvador de Bahia au Brésil, dans le cadre d’une résidence du Goethe Institute et offert en téléchargement libre, Calidostópia! confronte le travail de Markus Popp à des chanteurs et chanteuses de toute l’Amérique latine, chacun apportant son propre bagage musical et culturel au sein duquel Oval va devoir conserver sa singularité. Dans les bribes de titres apportées par Popp pour la résidence, où l’on retrouve des fragments musicaux issus de O ou OvalDNA, viennent donc se glisser des percussions, des voix très expressives (allant jusqu’à des climats opératiques), des influences jazz, bossa et traditionnelles. On s’en doute, avec un tel défi, le résultat ne peut qu’être hétérogène, et on a parfois l’impression que les voix et la musique ne parviennent pas à s’accorder, se parlent de deux continents qui ne se touchent pas. Mais à d’autres moments, quand la symbiose opère (« Bassic Halveplane », « Legendary », « Grrr »…), c’est une nouvelle porte qu’ouvre en grand Markus Popp, vers une vraie musique de demain, une hybridation radicale où toute notion de genre, d’origine géographique ou de background musical n’aura plus aucun sens, une utopie d’un monde unifié par sa diversité sonore.
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PHILIPPE PETIT : Hitch-Hiking thru Bronze Mirrors ( Aagoo) ASVA & PHILIPPE PETIT : Empires should burn (Basses Fréquences) EUGENE S. ROBINSON & PHILIPPE PETIT : Last of the Dead Hot Lovers (Truth Cult) On avait quitté la Lemon Girl de Philippe Petit littéralement au bord du précipice, prête à basculer dans le dernier acte de ses « Extraordinary Tales » et à y affronter ce qui l’attendait au bout du cauchemar. L’heure est donc venue pour elle et pour nous, et Hitch-Hiking thru Bronze Mirrors ne va pas prendre de gants avec sa pauvre héroïne. Pourtant, les premiers instants de l’album, avec leur mélodie de piano plutôt suave laissait augurer d’un léger répit, mais tout se détraque vite, replonge dans des paysages oniriques malsains et décalés au fil desquels Philippe Petit manie avec sadisme les dissonances, les crissements, les sons concrets et les envolées cristallines pour mieux faire souffler le chaud et le froid. La fille citron affronte ses peurs, mais ne semble pas en ressortir grandie, juste plus fragile encore, jusqu’à une conclusion qui, en guise de retour à la normale, ne fait en fait que prolonger encore davantage son supplice, comme lorsqu’on tente en vain de se réveiller d’un mauvais rêve pour n’y sombrer que plus profondément encore. Quoi qu’il en soit, avec cette trilogie désormais achevée qu’il conviendra d’écouter dans son intégralité pour mieux en percevoir l’ampleur, Philippe Petit signe son magnum opus, un monument transgenre à partir duquel devra être mesurée son œuvre future. Et comme l’hyper-prolifique compositeur ne nous laisse jamais bien longtemps pour souffler, c’est dès maintenant que cette évaluation doit être entamée, à travers deux collaborations comme il les affectionne. Présentée comme la « simple » rencontre du projet drone de Stuart Dahlquist et de Philippe Petit, Empires should burn ne s’offre pas moins la participation vocale de Jarboe, du spoken-artist Bryan Lewis Saunders et d’Eward Ka-Spel des Legendary Pink Dots. C’est à ce dernier que revient l’honneur de poser une voix froide et désincarnée sur le tapis d’orgue , de cymbalum et d’électronique tissé par les deux musiciens, avant que Dahlquist lui-même ne lui succède pour un titre confinant à un dark-ambient des plus anxiogènes, lardé de cris contrariés. Plus anecdotique, la participation de Saunders ne relève guère « A Vision », au contraire de Jarboe, qui plane comme un fantôme omniprésent sur le sépulcral « The Star Implodes », véritable temps fort d’ Empires should burn, qui s’achève en beauté avec l’élégiaque et instrumental « Apocryphatic_Ally », superbe de retenue et de finesse. D’une toute autre teneur est Last of the Dead Hot Lovers, seconde collaboration de Philippe Petit avec Eugene S. Robinson, monumental leader d’Oxbow, après The Crying of Lot 69 en 2011. En deux titres, de plus de vingt minutes chacun, le duo, appuyé ici par la présence de Kasia Meow, écrit l’histoire d’une relation amoureuse, chargée d’ incompréhensions, de colère, de perte et de trahison, qui s'achève dans les cris et la folie. Urbain, violent, hanté, Last of the Dead Hot Lovers est une plongée dans l’inconscient d’un couple dysfonctionnel. A la toute fin, n’en restera que des cendres tièdes, une vilaine gueule de bois et l’impression d’avoir assisté à un grand moment de vie, presque de façon clandestine. Encore un excellent début d’année pour Philippe Petit ! Dès les premiers grondements de tonnerre lointain qui ouvrent Long Forgotten Days Under a Dust Covered Sky avant que n’apparaissent de fugaces beats liquides de techno-dub noyés dans le souffle, on sait que les souvenirs, pas si oubliés que cela, que nous invite à parcourir Nils Quak n’auront pas la nostalgie sereine des images d’enfance. Et si les vagues ambient sont bien présentes, elles résonnent dans un espace saturé de distorsion, de grain épais et de drones fuligineux. A l’instar de la photo qui orne l’album, innocente promenade dans un parc, qui pourrait for bien avoir été réduit en cendres par une explosion nucléaire quelques secondes plus tard, Long Forgotten Days Under a Dust Covered Sky laisse planer le doute : Est-ce vraiment des voix que l’on capte à travers la brume toxique ? Et si oui, que racontent-elles ? Que cachent ces émissions d’ondes ? Les formes se noient dans un flou âcre et rocailleux, un raclement de surface qui emporte sur son passage des lambeaux de rythmes, des field recordings, des vinyles tournant dans le vide, des fréquences acérées et de vagues réminiscences de mélodies. Souvent mélancolique, la musique de Nils Quak, sculptée avec un soin d’orfèvre, prend ici un tour plus sombre et tourne le dos à toute la vague rétro-past-n’importe quoi actuelle, comme s’il ne servait à rien de s’accrocher à un passé mythifié, à un hier définitivement perdu, comme s’il ne subsistait ni présent, ni promesse de futur : juste des vents toxiques soufflant sur les ruines de vies éparses semble nous dire tout l’album, jusqu’au toutes dernières notes de « To feel nothing », qui ouvrent soudain une fenêtre et terminent Forgotten Days Under a Dust Covered Sky sur une magnifique note d’espoir et de renaissance. Et si l’espoir n’est finalement pas au rendez-vous, c’est bien à une renaissance créative que nous convie Nils Quak sur son album suivant, qui troque le tout digital pour l’expérimentation à base de synthétiseurs modulaires, et délaisse du même coup les techniques éprouvées de la composition sur ordinateur (synthèse granulaire, accumulation de plugins...). Construit sur l’idée de l’éther cosmique, du vide, Aether n’est pourtant pas si vide que ça, et si les sons, plus amples et francs qu’à l’accoutumée, se réverbèrent davantage dans l’espace, c’est pour mieux y entrer en résonance avec ce qui se trouve là, l’éther pensé comme substance, comme l’imaginait la science du dix-neuvième siècle, ancêtre imparfait de la matière noire contemporaine. Tirant parti de ses nouvelles possibilités techniques, Nils Quak se lance ici à pieds joints dans l’inconnu, explorateur cosmique « coulant sans tomber, errant sans direction pour finalement n’être plus rien » comme il l’annonce en préambule de l’album. Les sons fusent comme autant de comètes, vibrent à l’image des radiations spatiales, craquent, se dissolvent dans l’obscurité. Vaste, et pourtant paradoxalement étouffant, Aether est l’album de la perte des repères, ce moment où l’on ne sait plus à quoi se raccrocher, où tout sonne comme un danger ou une menace. Et si c’est avec soulagement que l’on en accueille la fin, le retour à des rivages connus, c’est avec la certitude d’avoir vécu un grand moment d’aventure sonore. Disparu des écrans radars après l'unique album, plutôt rock, de son projet Glowworm, Kevin Scott Davis a entre temps vécu des moments difficiles, puisque son premier disque sous sa nouvelle identité de Betacicadae parle de rédemption, de conflit et de renaissance spirituelle. Oeuvre cathartique donc, pour son auteur, qui en assemblé chaque élément avec soin pendant plus de deux ans, ciselant un paysage complexe de field recordings, d'électroniques et d'instruments acoustiques divers (vibraphone, flute, percussions, guitares...) en un matériau dense propice à toutes les manipulations. Au fil de Mouna, on est ainsi transportés de climats religieux en moiteurs tropicales, de rêves éveillés en réalités à peine entraperçues d'un regard, sans la moindre baisse de régime. Ni drone, même s'il y en a, ni ambient, même si Mouna est plus que riche en ambiances variées, cet acte de naissance de Betacicadae est une grande réussite, et rien que pour la riche progression de « Pahoa », la luxuriance de « Gold Country » et les voix élégiaques cloturant « Telerehabilitation », mérite amplement que l'on s'y arrête, d'autant que le packaging, tant de la version LP que de son équivalent CD est absolument magnifique, peint et fabriqué à la main avec autant de soin de Betacicadae a mis à construire sa musique. Un voyage chaudement recommandé.
Comme on a pu le voir l'an dernier avec l'accident de la centrale de Fukushima ou le peu médiatique mais dévastateur tremblement de terre de Tohoku, le net est devenu pour les artistes et des labels altruistes l'occasion d'offrir, rapidement, un soutien financier et matériel aux victimes des catastrophes naturelles, la dématérialisation des supports permettant d'agir vite et de ne pas s'encombrer de délais de publication ou de coût de fabrication venant grèver ce qui revient effectivement aux destinataires de l'aide. Et si l'on a beaucoup vu il y a quelques semaines les images de dévastation d'une New York frappée par l'ouragan Sandy, le webzine Headphone Commute, à l'initiative de la compilation caritative ...and Darkness came n'oublie pas les habitants des îles touchées au préalable (Haïti, Cuba...) et distribuera l'ensemble des gains générés par le téléchargement de cette compilation à Médecins Sans Frontières et The Humane Society afin d'aider aux travaux de reconstruction. Mise en place, évidemment, avec une certaine urgence, ...and Darkness came n'est pourtant pas, loin s'en faut, une compilation au rabais, et pour la somme minimum de dix dollars, offre à tout acheteur pas moins de quatre vingt sept titres, soir plus de six heures de musique créée pour l'occasion ou offerte par la crème de l'ambient et du néoclassique. Au fil du tracklisting, on retrouve donc, entre autres, David Newlyn, Machinefabriek, Lawrence English, Pleq, Richard Chartier sous son identité de Pinkcourtesyphone, Scanner, Ian Hawgood ou Ben Lukas Boysen (Hecq), pour un ensemble de titres oscillant le plus souvent entre une mélancolie qui prend à la gorge et des climats sombres et recueillis. Entre ceux qui, New-yorkais, ont assisté de près à la montée des eaux (et qui en ont souvent tiré des field recordings utilisés ici) et les autres, court comme un fil commun de désespoir âcre, où se mèlent la contemplation du désastre, l'amertume face à une société en bout de course, et l'espoir d'un monde différent. Comme si l'ouragan Sandy, en ravageant la ville, devait en nettoyer les scories pour rendre possible l'émergence d'autre chose... un élan porté ici par les titres lumineux de Hammock, Good Weather For An Airstrike ou Dustin O'Halloran. L'obscurité est venue, puis repartie... reste à rebatir les ruines noyées. L'effort fourni ici ne sera sans doute qu'une infime partie de ce qui sera nécessaire, mais il n'en redonne pas moins la foi dans une action collective possible.
Dans un monde aussi volatil que celui des musiques électroniques, un artiste comme Miguel De Pedro, actif depuis 1998 sous l'identité de Kid606, fait figure de vétéran, sinon d'ancêtre. Pourtant, force est de le reconnaître, ses albums les plus marquants, enregistrés voilà plus d'une décennie (PS I love you, GQ on the EQ++) ont aujourd'hui passablement vieilli et leur morgue d'ado décidé à casser ses jouets en adressant un doigt d'honneur à la scène idm les a finalement condamnés à n'être qu'un témoignage temporel d'un moment où les héritiers de la techno se cherchaient une porte de sortie. Et s'il a lui même exploré quelques voies de traverse durant ces dernières années, de l'analogique Songs about fucking Steve Albini au très référentiel Pretty Girls make Raves, Kid606 n'apparaissait plus sur nos radars que comme un écho fantôme, éclipsé par d'autres lumières plus vives. C'est dans ce contexte d'oubli relatif que Miguel De Pedro tente un nouveau retour avec Lost in the Game, pour lequel il décide de nous présenter son visage le plus aimable : exit les breaks agressifs, les synthés trop acides pour être honnêtes, le rictus omniprésent qui se retrouve ici confiné simplement aux titres de morceaux (« Step into the Light you fucking Idiot »), qui révèlent par ailleurs l'inévitable prise de conscience de l'âge qui atteint le Kid comme les autres (« Night Club vs. Book Club », « I'm sick but I ain't dead »...), tandis que s'invitent des ambiances mélodiques que l'on n'attendait guère ici. En vieillissant, Kid606 se serait donc assagi, et c'est là que le bât blesse : les beats tournent aux ralentis, les mélodies font montre de joliesse, les effets dubby sont proprets, tout ceci est bel et bien gentil, mais ressemble plus à la bande son d'un salon de thé branchouille qu'à ce qu'à pu produrie Kid606 par le passé. Pas la moindre once de danger ici, ni d'ailleurs d'originalité puisque la plupart de ce que propose Lost in the Game ne ferait pas tache sur le catalogue de quelques netlabels (du moins de leurs sorties d'il y a sept ou huit ans). Le monde bouge, la musique électronique évolue sans cesse, mais la seule option prise par Kid606 est celle d'un retour à un pseudo âge d'or cotonneux qui n'a jamais véritablement existé, une ignorance aussi béate que coupable qui finit par rendre Lost in the Game totalement inutile et redondant...Sauf si vous prévoyez d'ouvrir un salon de thé (ou de coiffure) branchouille, évidemment. Souvent marquée par des influences passées, finement intégrées à un terreau sonore moderne, la musique de Bee Mask a largement tiré parti des apports de la musique concrète, des pionniers des synthétiseurs ou du bruitisme, sans jamais aller aussi loin dans le sens de la révérence que ne le fait ici Chris Madak sur son premier LP pour le label Room40, Vaporware / Scanops aux deux faces clairement distinctes. Rendant directement hommage à la musique cosmique et new age, « Vaporware » habille des tapis de nappes aériennes, de sonorités old-school et de cliquetis cristallins. Planant, mais pas uniquement, « Vaporware » fourmille de minuscules détails et plutôt qu'un vertige cosmique, évoque l'observation méticuleuse au microscope, quand l'infiniment petit prend une clarté nouvelle tandis que le reste du monde s'évapore dans un flou indistinct. S'ouvrant sur des climats élégiagues au sein desquels s'intègrent à la perfection les boucles de voix samplées de Katherine Brady et Autre Ne Veut, « Scanops » est en définitive bien plus traître, et si Bee Mask y déroule pendant plus de six minutes tous les clichés de la musique new age (échos légers, voix éthérées dépourvues de langage, respirations), c'est pour mieux les tordre en les emprisonnant dans une gangue de crépitements âcres évoquant plus les stridulations d'un compteur geiger que le langage des étoiles. Faussement serein, Vaporware / Scanops est un piège qui prend à revers, Chris Madak s'y emparant de nos attentes d'un passé recomposé pour en tirer de véritables nouvelles perspectives pour Bee Mask. Recoil : A Strange Hour in Budapest (Recoil / Alfa Matrix) / VCMG : EP3 / Aftermaths (Mute)10/23/2012 Alors que l’on attend pour l’an prochain un nouvel album du trio de Basildon, les nouveautés ne manquent pas en marge du clan Depeche Mode, avec d’un côté Recoil d’Alan Wilder qui publie un Blu-Ray proprement monumental tandis que les vieux comparses Vince Clarke et Martin Gore s’ébattent dans une techno minimale et moderne sous le nom de VCMG. Commençons par Alan Wilder, qui lorsqu’il a décidé en 2010 de sortir enfin Recoil du studio pour l’amener sur scène s’est rapidement heurté à un problème de taille auquel se trouvent toujours confronté un jour où l’autre les musiciens œuvrant dans l’électronique. Comment présenter de manière scénique une musique ne pouvant être mise en place autrement que par des logiciels, et dont tous les nombreux intervenants vocaux seront absents sur scène. Embaucher un chanteur « générique » ? Feindre de jouer sur des synthés en tapant dans les mains ? Aucune solution ne paraissait honnête à Alan Wilder qui a par ailleurs toujours étayé son refus de se produire sur scène par ce simple constat. Il lui fallait donc inventer une forme nouvelle d’événements, quitte à ne pas considérer ses prestations comme des concerts. Ainsi est né le concept A Strange Hour : une sorte de présentation multimédia où l’image compte autant que la musique, où le contexte est clairement mis en avant, Alan Wilder et Paul Kendall , son comparse sur scène ne cherchant à aucun moment à cacher le fait que les sons proviennent de leurs laptops. Ni concert donc, ni DJ-set, ni installation sonore, les spectacles de la série A Strange Hour réinventent l’ADN de Recoil en profondeur, amalgament les titres, décomposent et recomposent à l’envi des passages issus de la discographie d’Alan Wilder, que ce soit avec Recoil ou avec Depeche Mode, sans négliger d’intégrer des apports extérieurs comme Boards of Canada, Gary Numan ou le « Warm Leatherette » de The Normal, clin d’œil à Daniel Miller qui l’a toujours soutenu via Mute. Encore plus fluides qu’à l’accoutumée, les morceaux de Recoil, remixés en direct par un mélange d’éléments préprogrammés et de sons lancés par Wilder et Kendall, deviennent une matière nouvelle, réinventent des narrations, passent, souvent dans un même titres de climats trip-hop ou breakbeat à des rythmes techno, se répondent, reviennent en ponts à d’autres moments, à l’image d’un « Never let me down again » qui se fond dans un « In your Room » en version dub avant de le dynamiter de l’intérieur, de « Stalker » et « Faith Healer », deux participations de Douglas McCarthy de Nitzer Ebb qui deviennent comme un bloc compact et insécable, ou de « Warm Leatherette » qui s’insinue bien avant d’apparaitre pour de bon. Expérience de laboratoire menée en direct, A Strange Hour in Budapest, enregistré lors de la dernière date de la tournée de Recoil, se devait d’avoir un écrin à la hauteur de ses qualités, et Alan Wilder n’a pas lésiné sur les moyens puisqu’il a autoproduit un magnifique Blu-Ray pour la circonstance. Image au piqué impeccable, son surround époustouflant, remixes, clips et projections de scène en bonus, A Strange Hour in Budapest est un monument en continuel mouvement, le chef d’œuvre d’un musicien préoccupé tout autant des notions de diffusion et de contexte que de la simple composition de chansons, et qui a d’ailleurs décidé de poursuivre l’exploration plus loin encore puisque, après avoir inventé ce format hybride, il présente désormais lors de dates sélectionnées, le Blu-Ray lui-même tout en intervenant, ajoutant un degré de réification supérieur. Alors qu’il est de bon ton, dans le discours ambiant, d'affirmer que « le son a sa vie propre », Alan Wilder le démontre ici (à ce titre, 1+2, ses premiers exercices sous l’identité de Recoil où il retravaillait des échantillons de Depeche Mode dès 1986 faisait plus qu’anticiper ses recherches actuelles), et A Strange Hour in Budapest fait figure de preuve incontestable. Plus ludiques, les retrouvailles de Vince Clarke et Martin Gore sous l’identité transparente de VCMG sont surtout pour les deux vétérans de la musique électronique l'occasion de se frotter avec celle qu’ils ont indirectement engendré, la techno minimale dont ils ont fait le corps de leur album Ssss, non sans y intégrer leur propre background mélodique et leur science du traitement du son. Dernier maxi à paraitre pour le projet, EP3/Aftermaths est un titre de techno puissante et rêche, pour lequel VCMG réunit un casting de remixeurs de rêve, bien plus passionnant que celui de ses deux premiers maxis. Plus musclé qu’à l’accoutumée, Alva Noto fait néanmoins dans la froideur glaçante et Christoffer Berg dans les climats aquatiques, tandis que Gesaffelstein durcit le ton, et que LFO déroule une techno sèche et énergique, traversée d’échos radars. Reste à Vince Clarke le soin de clore (temporairement ?) l’aventure, ce dont il s’acquitte à travers ce qui commence comme un pied de nez bancal avant de rebondir vers une version entêtante de ce qui s’avère décidément l’un des meilleurs titres de VCMG. A-t-on encore besoin d’un nouveau Depeche Mode, finalement ? Apparu en 2010 avec une double CD-R aux riches fragrances free-folk, Aloonaluna est passé de groupe à projet solo avec le déménagement de sa principale instigatrice, Lynn Fister vers la Californie. C'est donc sous une forme légèrement modifiée que s'effectue son retour avec une paire de cassettes publiées sur l'hypnotique label Hooker Vision. A l'instar des autres signatures de ce label créé, rappelons-le, par Grant et Rachel Evans (respectivement connus pour leurs projets Nova Scotian Arms et Motion Sickness of Time Travel), Aloonaluna évolue désormais dans un territoire noyé dans un épais brouillard lo-fi. Epuisé sous son format initial mais disponible depuis sur la page bandcamp d'Aloonaluna, Bunny est sans doute le plus symptomatique de cette esthétique mariant l'onirisme et la nostalgie à une bonne dose de bricolage. Ici, une voix blème et indistincte flirtant souvent avec la saturation flotte au dessus de nappes synthétiques, de presets cheap, de guitares délavées et dévorées par leur propre écho (« Seedling, wait to grow »), de sifflements enfantins, de rythmes bancals, et on a souvent l'impression que Bunny est en fait une cassette privée, quelque chose d'intime que son ancienne propriétaire aurait égarée et que l'on aurait retrouvé, abandonnée dans une flaque boueuse, ses signaux déformés pleins d'une vie qu'on ne parviendrait jamais tout à fait à identifier. Plus direct, Diadem or Halo ? apparaît également plus « propre » (même si ici une telle notion ne peut être que relative). Lynn Fister y pose sa voix sur des mélodies minimalistes à dominante électronique, et si l'expérimentation demeure présente dans la déstructuration lente de formats basiques (« Stardusted Stomach », «Galapagos »...) et dans l'usage des field recordings (« Calhoun Rain »), il n'est plus besoin de passer à travers l'écran des parasites pour en apprécier les subtilités, ce qui ne rend la musique d'Aloonaluna que plus hypnotique, Diadem or Halo ? offrant même, presque à son corps défendant, quelques vraies perles de dream-pop égarée (« Song for Krishna », « These Horses are solid White »). Une nouvelle voix vient de s'imposer aux côtés de celles de MSOTT ou Grouper, il est grand temps de l'écouter. Depuis la mise en hibernation prolongée de Pan Sonic, le Finlandais Mika Vainio a fait feu de tout bois, explorant sur un nombre croissant de publications en solo un spectre musical de plus en plus étendu. Frôlant de près les climats industriels sur le EP Vandal, il s'empara ensuite des tropes du métal pour Life (… It eats you up), avant de revenir avec FE3O4 - Magnetite (rien à voir avec le FE2O3 de Mlada Fronta si ce n'est un goût commun pour les oxydes de fer) à des atmosphères plus proches de ses albums antérieurs. A l'aide de son attirail sonore habituel (oscilloscopes, radios...), d'effets minimalistes et de field recordings, Mika Vainio dessine avec FE3O4 – Magnetite les contours érodés de formes indistinctes évoluant entre des blocs de silence et des attaques sèches. Instables, pouvant s'effondrer à tout moment, les sept titres de l'album peuvent ainsi commencer de manière très minale pour s'orienter ensuite vers une noise râpeuse (« Magnetica », et plus encore « Magnetism » qui joue de la micro-coupure pour faire s'écrouler l'édifice), agréger un paysage de drones grisés (« Magnetosense »), insérer un sentiment d'inquiétude dans des résonances de bols tibétains (« Magnetosome ») dévorées par des captations de mélodies éraillées, ou opposer directement noise et silence dans un « Elvis's TV Room » qui passe sans le moindre signe avant-coureur de l'un à l'autre. Ardu, taiseux à l'image de son auteur, FE3O4 – Magnetite est un album qui ne cherche pas à faire de cadeaux à l'auditeur, semble se moquer comme d'une guigne de son éventuelle présence d'ailleurs. Il existe, c'est tout, dans un espace intermédiaire ouvert par Mika Vainio. Peu importe sous quel angle nous pouvons parvenir à l'apprivoiser, cela n'en diminuera en rien sa puissance.
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December 2013
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