Une nuit couverte, dénuée d'étoiles, une lumière blême dessinant les coutours imprécis d'un nuage, des murs à la peinture écaillée, le vent qui souffle à travers des carreaux cassés, un vieux phonographe crachotant dans son coin, des livres entassés sous la poussière... autant d'images qu'évoque, au fil des écoutes, Sublunar, le premier album solo de Kane Ikin, par ailleurs moitié de Solo Andata, qui s'y livre à son goût pour les ambiances sourdes et mélancoliques. Délaissant volontairement la technique au profit de l'inspiration, Ikin joue avec le souffle des enregistrements, laisse flotter dans l'air des résonances, suscite des rythmes qui n'en sont pas vraiment et s'épuisent dans une bradycardie en manque d'air, enterre guitares, field recordings et soixante dix-huit tours sous une couche dense de souvenirs à demi oubliés, déjà dévorés par l'entropie de la mémoire. Comme tous les grands albums d'ambient, Sublunar ne se révèle pas directement, et sans doute même jamais totalement. Il faut l'approcher par la bande, sous un angle différent à chaque fois, se laisser distraire, puis happer, par une voix particulière, et la suivre sur son propre chemin, avant d'en rejoindre une autre. C'est ainsi, par cette navigation aléatoire, que s'apprécieront le mieux les paysages intérieurs ici convoqués, avec une telle indolente maitrise qu'on est pas prêt de les quitter.
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Parmi les qualités premières d'un artiste, la capacité à évoluer, à enrichir son vocabulaire, fait sans doute partie des plus importantes. Inclinaison naturelle que l'on retrouve chez tout un chacun, celle-ci peut, dans certains cas, être provoquée plus brutalement par des circonstances extérieures auxquelles l'artiste doit s'adapter pour les dépasser. Ainsi, du deuil à la séparation en passant par les problèmes grave de santé, on ne compte pas les albums inspirés par ces « accidents de la vie ». Dans le cas de Saito Koji, c'est une catastrophe écologique qui est à l'oeuvre, puisque l'artiste, résidant à Fukushima, a du, d'une certaine manière, repenser sa vie face à la menace nucléaire proche et à des niveaux d'exposition aux radiations nocifs pour la santé. Enregistrés au cours de l'année écoulée, soit avant et après Fukushima, ces quatre sorties du netlabel Resting Bell sont ainsi autant de marqueurs temporels dans l'évolution d'une oeuvre. Music, par exemple, est typique de la production antérieure de Saito Koji. Des nappes longues, minimalistes et liquides, se superposent de manière discrète au fil de titres relativement longs (en amateur de durées rigides, Saito Koji y assemble trois titres de dix minutes et un de vingt). Pas de drame ici, peu d'accidents, mais plutôt une ambient profondément hypnotique qui n'est pas sans évoquer les meillleurs moments de Celer. Enregisté avant la catastrophe, Guide semble pourtant la préfigurer, et s'affirme comme l'un des albums les plus noirs du Japonais. Ici, les boucles vaporeuses cèdent le pas à des masses distordues et anguleuses, obtenues à la guitare (l'instrument initial de Saito Koji), qui atteint ici une densité impressionnante dans des morceaux ramassés sur eux-mêmes : huit fois trois minutes, ce qui est bien suffisant pour donner jour à un univers enténébré dont émane pourtant une grande paix intérieure, une aspiration à un idéal pas si éloigné que ça. Enregistré peu de temps après l'accident nucléaire, son jumeau Again, à la construction rigoureusement semblable, en est pourtant le presque opposé. Ici, le vent souffle sur les ruines, les boucles de guitare crachent une poussière âcre, se dispersent sous une lumière qui ne parvient jamais à percer, malgré les titres enjoués des morceaux (« Joy », « Magic », « Sunset »). Mais la vie demeure, et c'est sans doute tout ce qui compte. Et en un nouveau pas de côté, Saito Koji vient de rebattre à nouveau les cartes de sa création, en opérant un (presque) retour aux sources avec Sleepy, album d'une heure pour un seul titre, à nouveau marqué par la présence de la guitare, mais qui se fait ici luminescente, s'évase en lignes de fuites trompeuses, en perspectives truquées, la répétitivité de minuscules phrases mélodiques ouvrant la porte à des manipulations internes (ralentissements, retours en arrière, échos...), qui densifient le propos. Album du renouveau autant que du souvenir, Sleepy n'aurait sans doute jamais pu voir le jour si Saito Koji n'avait dû passer par ce lent processus de deuil, de survie et de réinvention créatrice. Sa lumière pâle n'en est que plus indispensable. Avec pas moins de vingt cinq albums, cassettes et EP publiés en moins de trois ans (sans compter une quinzaine d'autres sous le nom de Quiet Evenings avec son mari Grant, alias Nova Scotian Arms), Rachel Evans a rapidement su imposer Motion Sickness of Time Travel comme l'un des incontournables d'une scène ambient minimaliste et lo-fi, où des drones sourds et des nappes noyées de souffle forment la texture d'un voyage dont les contours varient peu mais qui séduit pourtant presque à tout coup (son album Luminaries & Synastry demeure l'un des temps forts de 2011) . Pourtant, pour ce superbe double vinyl éponyme chez Spectrum Spools, Rachel Evans a choisi d'apporter quelques aménagements radicaux qui renouvellent en profondeur le son désormais familier de Motion Sickness of Time Travel sans pour autant y perdre sa singularité. Composé de quatre titres occupant chacun une face du vynile, ce nouvel album dévoile une facette bien plus ambitieuse de l'artiste, qui s'y révèle bien plus et nous surprend à chaque instant. Car, et c'est bien l'une des principales qualités de Motion Sickness of Time Travel, les synthétiseurs mis ici nettement plus en avant tissent de fines mélodies qui évoluent sans cesse, chaque titre étant, plus qu'un instantané, une aventure à lui tout seul, au point qu'il est difficile de se rappeler, lorsqu'un morceau se termine, dans quelles conditions il avait commencé. Extrêmement fluide, et pour une fois d'une pureté cristalline - le souffle et l'attitude DIY étant ici restés au placard , la musique nous entraine sans peine à sa suite, nous enveloppe dans un voyage où les synthés old-school (« Summer of the Cat's Eye ») et les réminiscence d'un shoegaze ambient bien plus ancré dans les années 80 (« The Center » pourrait ainsi être la version alanguie et filandreuse d'un This Mortal Coil), côtoient des abîmes proprement cosmiques, la voix pâle et inarticulée de Rachel Evans faisant le lien entre tous ces éléments à priori disparates. Passionnant, et d'un intérêt qui se renouvelle à chaque nouvelle écoute, Motion Sickness of Time Travel est comme un précipité alchimique de tout ce que Rachel Evans avait accompli jusqu'ici, et ce n'est sans doute pas un hasard si elle a choisi de le laisser sans titre car, bien plus que tous ses prédécesseurs, il signe clairement l'entrée dans l'âge adulte d'un projet dont on attend avec impatience les prochains développements. Fort heureusement pour nous, au rythme où travaille Rachel Evans, nous ne devrions guère à avoir longtemps et nous pourrons, d'ici là, nous baigner avec béatitude dans les marées stellaires de ce magnifique album-univers. RUSSELL HASWELL : Scandinavian Parts (Immersive Live Salvage Supplement) (Ideal Recordings)7/12/2012 Particulièrement peu prolixe en matière d'enregistrements (ce qui en fait une rareté dans la scène noise), l'Anglais Russell Haswell préfère réserver à la scène ses improvisations harsh et métalliques, qu'il publie régulièrement sous le nom générique de Live Salvage. Objets de récupération, rebuts, ceux-ci sont toujours présentés comme des documents bruts alors même qu'un énorme travail de production y est accompli. Suite et supplément du monumental In It (Immersive Live Salvage) paru l'an dernier chez Editions Mego sous la forme encore inédite d'un DVD 5.1 et d'un LP utilisant un procédé sonore permettant de recréer l'illusion de l'écoute multi-canal, Scandinavian Parts détaille une autre partie de la tournée réalisée en première partie d'Autechre en 2010, en l'occurrence les pays scandinaves. Enregistré, comme In It en utilisant le format UHJ, qui vous permettra, pour peu que vous possédiez le logiciel adapté, de recréer une immersion complète et franchement étouffante dans la tornade bruitiste improvisée chaque soir par Russell Haswell à partir d'un arsenal de divers instruments électroniques, de pédales d'effets et de micro-contacts, Scandinavian Parts est donc finalement bien davantage qu'un simple CD live et, au delà de la simple expérience sensorielle, l'essence du travail de Russell Haswell y est bien présente, une recherche sur les conditions du live, sur son statut même qui prend en compte les différences inhérentes à chaque concert et influent sur l'improvisation en cours. La taille de la salle, de la scène, l'acoustique du lieu, la présence du public, la température et l'humidité sont ainsi tout aussi importantes ici que ce qu'effectue réellement Haswell, une performance des plus physiques explorant les diverses possibilités du bruit, des fréquences aiguës et perçantes à des grondements sourds, des attaques acides contre des murs impénétrables, des glissements subits d'une fréquence à une autre, l'ensemble s'affrontant sans cesse dans une guerre brutale dont l'artiste ne serait que le véhicule et le public les victimes. Sans modifications ultérieures ni montage, Scandinavian Parts, avec ses bugs occasionnels, ses saturations, son public parfois peu concentré dont les bavardages évoquent un live pirate est un témoignage incontournable de la noise expérimentale dans ce qu'elle peut avoir de plus aliénante. Plus qu'un bonus, Scandinavian Parts a ses lignes de force propres et peut s'apprécier tel quel, même si, évidemment, c'est dans la confrontation avec les autres live présentés sur In It qu'il prendra toute sa puissance. A bien y regarder, l'oeuvre de Markus Popp sous l'identité d'Oval a toujours plus tenu de processus scientifiques et analytiques que d'une quelconque inspiration musicale. Très tôt, à travers ses installations et des concerts où étaient projeté l'écran de son portable, permettant à chacun de voir les mécanismes à l'oeuvre dans la déconstruction musicale, Popp a toujours cherché à exposer, sans pour autant le déflorer, ce qui faisait la nature du son d'Oval. Inventeur malgré lui du glitch, une simple technique devenu genre, Oval a été contraint à une pause de dix ans, le temps de réinventer de nouvelles procédures, et son retour l'an dernier avec O, série de cinquante titres très courts basés sur un travail à partir de vrais instruments avait pris tout le monde par surprise, car Markus Popp n'y faisait rien moins qu'engendrer un nouveau cosmos à partir du vide... et qu'il n'est jamais simple d'effacer totalement le tableau pour y inscrire d'autres formules. Dans ce contexte de recherches, le monumental OvalDNA tient effectivement les promesses de son titre. Au fil de vingt-cinq titres, plus dix en bonus, l'album se présente comme une confrontation entre l'ancien Oval (tous les titres relevant de cette période sont labellisés « Pre-O », certains remontant même à assez loin) et le nouveau, « Post-O », et expose clairement la matrice du projet. Compilation de titres bonus, de pistes de travail abandonnés, de miniatures délicates, OvalDNA est pourtant bien loin de la compilation « fonds de tiroir » et s'avère au contraire une part essentielle de la discographie d'Oval, celle qui lie tout, qui rassemble les ambiances flottantes, répétitives et saturées d'un « Octaeder 0.2 » (période Ovalcommers) à la guitare (?) délicatement traitée d'un « Heroic », le glitch compact de « Gegenlesen », à la grâce ludique d'un « Breemo », leur mise en parallèle mettant finalement autant en évidence les similitudes que les différences entre les deux âges d'Oval. Car si, et cela s'entent immédiatement, les titres composés après O laissent de plus en plus d'espace aux sons, qui croissent et se déroulent sur des surfaces dépouillées là où les anciens titres avaient tendance à combler tout vide qui aurait pu subsister, espaces clos et autosuffisants, la même attention au détail se retrouve dans tous les titres, quelle que soit leur période de création. Markus Popp se concentre sur un son, souvent unique, et en explore toutes les facettes, toutes les combinatoires, le déconstruit pour mieux en capturer l'essence. Une manipulation de laborantin désormais accessible à tous puisque, et c'est l'autre gros morceau d'OvalDNA, il nous donne ici toutes les clés de son univers en offrant sur un DVD bonus (outre dix autres titres, un clip et un reportage ), pas moins de deux mille fichiers sons tirés de ses archives, et un séquenceur apte à assembler et désassembler l'ensemble de manière inventive, qui aurait initialement du s'y trouver également, mais qui est finalement téléchargeable sur le site du label, ainsi que des nouveaux packs de sons. Confrontés à cette masse sonore, où il est finalement très simple d'obtenir rapidement un résultat « satisfaisant » mais très ardu d'arriver à l'épure pratiquée par Markus Popp, on ne peut que comprendre qu'ici la science se fait art, magie même, et que la possession de tous les éléments, de la notice et du contexte ne nous permet pas pour autant d'appréhender l'oeuvre dans toute sa subtilité. A la fois clé, carte et territoire, OvalDNA nous offre néanmoins la possibilité de jouer à être Markus Popp, à faire du presque-Oval et à baigner dans un environnement continuellement changeant. Plus qu'un disque, un grand oeuvre, qui éclaire d'un jour nouveau, non pas seulement toute la discographie d'Oval, mais aussi l'electronica dans son ensemble.
S’il a exploré, depuis le début des années 90 l’ensemble du spectre des musiques électroniques sous une quantité ahurissante d’identités parallèles : Atom Heart, Lassigue Bendthaus, Flanger ou Senõr Coconut (avec lequel il remporta un succès inattendu pour ses reprises de Kraftwerk en version latino), pour ne citer qu’une infime partie de celles-ci, l’Allemand Uwe Schmidt, aujourd’hui installé au Chili n’en possède pas moins une solide formation classique, qu’il a choisi de mettre à profit depuis sa récente décision de réduire ses activités pour se consacrer uniquement à Atom TM, sans doute son projet le plus conceptuel depuis des lustres. Après Liedgut, qui explorait d’une façon toute personnelle l’univers des lieder de Schubert, Uwe Schmidt consacre donc un second album à l’œuvre du compositeur avec Winterreise, très librement inspiré de la pièce éponyme de Schubert. Pourtant, il serait vain d’attendre qu’Atom TM évolue dans le néoclassicisme, et si Schubert apparait sans doute ici en filigrane (samplé, et utilisé comme source sonore pour des oscillateurs), l’inspiration de Winterreise est finalement bien plus visuelle que musicale, puisque l’album prend naissance dans une série de clichés réalisés par Schmidt lors de sa tournée européenne à la fin 2010. Un voyage d’hiver personnel, donc, qui fait aussi pour l’artiste office de retour aux sources puisqu’il y revenait temporairement sur les terres de son enfance, loin de son univers désormais quotidien de Santiago. Composé de plusieurs mouvement distincts, qui pourtant s’interpénètrent et s’influencent mutuellement, Winterreise fait voisiner ambient étiré (le cycle de « Drei Schneewalzer) et glitch comme on n’en fait plus guère (la première partie de «Streuung »), ambiances Kraftwerkiennes claudicantes (l’ouverture de GauB’sche Landaufnahme »), passages d’electronica mélodique que l’on jurerait issues d’une production nippone et climats arctiques minimaux, alternant sans cesse entre quelques rares titres dépassant les cinq minutes et quantité d’interludes courts, l’ensemble se répondant sans cesse, des motifs réapparaissant à plusieurs reprises dans un contexte différent. Très éloigné, au premier abord, de Schubert, Winterreise n’en adopte pas moins des modes de construction proches, avec une instrumentation et des objectifs très différents. Pas de drame ici, ou alors à un niveau microscopique, Uwe Schmidt ne relâchant jamais sa prise sur le disque, comme pour mieux l’empêcher de déborder de ses limites préétablies. Alors, Winterreise constituera t-il la musique classique du siècle prochain ? On peut toujours rêver ! Terre d’élection d’une certaine école du minimalisme ambient, le Japon a déjà été l’occasion, pour le label parisien Taâlem de nous offrir quelques une de ses plus belles pièces, et cette nouvelle fournée de CD-R trois pouces, en grande partie composée de nouveaux venus est l’occasion de replonger dans une musique aux contours à la fois si familiers et si étrangers. Notre périple commence avec Nobuto Suda, co-fondateur du label Tobira Records (avec Hakobune), qui est apparu sur la scène ambient en 2010 et n’a de cesse depuis de l’enrichir de titres lumineux, privilégiant la durée. Twilight Garden, son CD-R pour Taâlem est ainsi constitué d’une pièce unique basée autour d’un drone ample et doux sur lequel viennent se poser des nappes mélancoliques. Avec une remarquable économie de moyens, Nobuto Suda crée un univers à part entière, polychrome et riche en émotions. Pour sa première et unique sortie à ce jour, Hitoshires, alias Sasagu Ota, monte encore plus haut et son bien nommé Stella a le regard tourné vers les étoiles. Ici, de longues nappes naissent, évoluent, se répètent et meurent avant de laisser la place à d’autres, évoquant à merveille le mouvement des astres dans un ciel d’été que l’on contemplerait des heures durant. Pure et minimale, l’ambient d’Hitoshires fascine par sa limpidité et les multiples espaces qu’elle ouvre à partir de presque rien. « Vétéran » de cette sélection, Takahiro Yorifuji est apparu voilà déjà cinq ans et déjà auteur d’une grosse dizaine d’albums sous le nom Hakobune, aussi à l’aise dans la forme courte que dans des morceaux plus longs, est pour sa part un fervent défenseur du drone, qui occupe l’essentiel de son œuvre. Sur les quelques vingt trois minutes de Believed Remains il laisse ainsi à un drone sourd et répétitif le soin d’offrir une ossature compacte, au sein de laquelle il glisse de discrètes interventions de souffles et d’autres drones plus ténus, l’ensemble constituant une masse hypnotique au sein de laquelle on navigue sans porte de sortie évidente. Enfin, c’est à un français résidant à Kyoto, Samuel André, alias IEVA, que revient la tâche de clore cette série japonaise avec un La Cascade de la Montagne de l’Aube [ 日ノ岡 の滝] aussi riche que passionnant. Là où ses prédécesseurs avaient opté la plupart du temps pour des sources sonores très limitées, IEVA use de drones clairs, de field recordings et de mélodies pour évoquer un paysage pointilliste. Entre les chants d’oiseaux, le vent, les bruits d’eau, des craquements indistincts et des mélodies aériennes, IEVA nous présente SON Japon, la vision d'un occidental en terre étrangère, qui se peuple peu à peu à mesure que, de percussions rituelles en voix scandées (on hésite entre une cérémonie et une manifestation, à moins qu'il ne s'agisse des deux) la vie entre par tous les coins du paysage, qui se durcit et se radicalise sans perdre pour autant son apparente placidité. Le Yin et le Yang (et tous les rapports qui les unissent) par l’exemple en à peine plus de vingt minutes, il fallait oser, et la réussite, ici, d’un tel équilibre est particulièrement impressionnante. Webzine devenu, depuis déjà un an, un label des plus recommandables, Future Sequence a publié via Bandcamp des albums de Radere, Zvuku, Widesky et Sun Hammer, ce qui donne déjà une bonne idée de leur orientation sonore, mais également, et c'est ce qui nous concerne en premier chef ici, une série de compilations librement téléchargeables, qui en quatre volumes de plus de quarante titres chacun, a proposé un panorama très étendu de la scène ambient-drone contemporaine. Les afficionados de labels tels qu'Hibernate, Rural Colours ou Time-Released Sounds seront en terrain connu sur ce quatrième volet puisqu'on y retrouve nombre d'artistes appartenant à leur écurie ainsi que quantité de jeunes pousses, ce qui est l'intérêt majeur de la série, qui permet d'observer, en temps réel, l'apparition et la croissance d'artistes à suivre. Et une fois encore, la moisson a été bonne puisque, aux côtés de Loscil et de son ambient dub noyé dans l'écho, des nappes de Bengalfuel, du minimalisme lumineux de Nobuto Suda (« Lyricism of the Light », superbe !), des nuages étirés d'Hakobune, des guitares dévorées de souffle de Radere ou des crépitement âcres et des ambiances concrètes de Pleq, ici associé à Philippe Lamy, on découvre avec un frisson dans le dos l'electronica cristalline et toute en finesse de Porya Hatami ("Winter", meilleur titre de la compilation selon moi), les drones de cordes contrariées de Zvuku, la mélancolie à fleur de touches d'Anna Rose Carter ou Ioflow, la noise pointilliste d'Aquarelle, l'éprouvante montée en tension de Daniel Thomas Freeman, l'entropie maitrisée de Waves on Canvas, les accents post-rock d'Accelra, le jazz blême de Mere ou le lyrisme congelé d'un Voder. Rien ici ne démérite, et Sequence 4 épate par son tracklisting impeccable, chaque artiste parvenant à être convaincant, voire pour un bon nombre d'entre eux, franchement bouleversant. Une compilation tout simplement indispensable, que je ne saurais trop vous recommander, sans oublier au passage de vous précipiter sur les trois autres volets du cycle, tout aussi réussis. Une telle avalanche de découvertes et d'émotions fortes aussi généreusement offertes, ce n'est pas tout les jours que ça arrive ! Depuis ses premiers pas en 2006 avec un mini CD chez Taâlem, le duo parisien 2kilos &More n'a cessé de nous épater et de placer chaque fois la barre un peu plus haut. Car loin de se concentrer sur un univers unique et d'en explorer les contours, Hugues Villette (ex- Osaka Bondage) et Séverine Krouch (Ba[j]ka), ont préféré, album après album, ouvrir en grand portes et fenêtres, tisser des liens toujours plus dense entre electronica, rock expérimental, musique post-industrielle, seuls ou en compagnie d'invités qui sont autant de compagnons de route. Nouvelle étape radicale de cette évolution, Kurz Vor5 agrège quantité d'éléments disparates dans des constructions où l'improvisation sait aller de pair avec le sens du détail qui fait sens. Du lyrique et spectral « Infinite Dead Ends » incanté plus que chanté par Phil Von aux glaçants récits dignes des films noirs les plus poisseux narrés par Black Sifichi (« User OK Feelings rejected » et surtout le terrifiant « I decided to lie »), en passant par une indus électrique et répétitive qui retrouve l'aliénation inhérente au genre (« One in the other ») ou l'ambient electronica cliquée de « Second Season », Kurz Vor5 varie les climats tout en gardant une étonnante cohérence interne, et s'il fallait trouver, à brule-pourpoint, un équivalent sonore à 2Kilos &More, ce serait Recoil qui viendrait à l'esprit, si celui-ci n'avait parfois tendance à céder à la facilité. Ici, la tension ne se relâche jamais complètement, le duo excellant à créer des montées qui prennent à la gorge et ne s'arrêtent apparemment jamais, des moments de calme où l'on souffle en regardant tout de même par dessus son épaule, au cas où... à nous prendre par la main que pour mieux nous balancer dans un puit d'ascenseur désaffecté. Avec en bonus en ligne trois vidéos téléchargeables réalisées par Lisa May à partir d'extraits de films retravaillés et d'images personnelles, projetés par 2Kilos &More lors de leurs concerts, Kurz Vor5 est, comme ses prédécesseurs un jalon à partir duquel les deux artistes parisiens redéfinissent le monde qui devient à la fois finement ouvragé et rugueux, mécanique et viscéral, mais surtout infiniment plus beau ! PLEQ / SPHERULEUS : Quietus Gradualis (Time Released Sound) / SPHERULEUS : Dissolve (Audio Gourmet)6/23/2012 Adeptes de la collaboration, le prolifique polonais Bartosz Dziadosz, alias Pleq et l'Anglais Harry Towell, qui compose sous le nom de Spheruleus mais dirige également le très respectable label Audio Gourmet, se sont déjà plusieurs fois croisé par le passé, et Quietus Gradualis pourrait être vu comme l'aboutissement d'une relation de travail murie sur le long terme, affinée par l'évolution de chacun. Présenté sous deux formes différentes, dont une tirée à seulement quatre vingt exemplaires, appartenant à la série des « Chocolate Box » du label Time Released Sound se présente sous la forme d'un casse tête où circulent des billes et d'autres accessoires aussi inutiles qu'amusants, Quietus Gradualis ne se prête pourtant que peu au jeu et aux couleurs vives. En deux titres d'une vingtaine de minutes, où sur un fond de drones terreux et de craquements, s'enroulent des ambiances complexes faites de guitares faussement enjouées et de cordes épurées, cette nouvelle aventure en duo propose une superbe réflexion mélancolique sur le rapport au temps et à l'entropie, qui régit tout, de l'écoulement des notes et des textures à celui des billes dans le minuscule « flipper » finalement aussi dérisoire qu'adapté. On retrouve également Spheruleus en solitaire pour un album, disponible uniquement en téléchargement mais organisé comme un vinyle avec ses deux faces distinctes, dont le titre (Dissolve) ne pouvait que nous séduire. Inspiré par une photographie d'une maison isolée au sein de la campagne galloise par Richard Outram tout autant que désespéré par un lieu d'habitation qui semblait lui ôter toute créativité, Harry Towell s'est lancé dans une rêverie musicale qui prend l'aspect de deux pièces, « Retreat » et « Dissolve », collage particulièrement élaboré de guitares, de violoncelle, d'un piano, d'un harmonica et même de spectre de voix inarticulés qui émergent d'un brouillard de field recordings (grondements d'orage, pluie...) et de particules en suspension. Tout en finesse et en retenue, nostalgique mais sans jamais céder au pathos du lieu, Dissolve évoque avec brio les couleurs délavées du paysage, la peinture qui se décolle sur les planches du bardage exposé aux éléments, le vent frappant aux fenêtres sales, la poussière qui s'accumule, le temps qui n'en finit plus de passer... Magnifique ! |
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December 2013
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