Sylvain Chauveau : l'arpenteur silencieux par Jean-François Micard
A la recherche du silence le plus pur depuis plusieurs années déjà, Sylvain Chauveau lui a toujours laissé une place importante au sein de ses oeuvres, faisant même de la première sortie discographique de son collectif 0 une série de reprises du 4'33" de John Cage, la pièce silencieuse la plus emblématique de toute la musique contemporaine. Il va aujourd'hui bien plus loin en imaginant une pièce d'une durée de sept ans, diffusée exclusivement sur lnternet jusqu'au 31 mai 2019, et composée presque totalement de silence. Quelques jours après le début de sa diffusion, alors que pas une note n'est encore sortie des hauts parleurs de l'ordinateur, nous sommes allées interroger Sylvain Chauveau sur cette oeuvre radicale, qui marie dépouillement et longue durée au point qu'il devient même impossible d'envisager de l'écouter dans son intégralité. En route pour Le Monde du Silence...
Ton nouveau morceau sous l’identité de 0, You will leave no Mark on the Winter Snow, dure sept ans, et n’est pratiquement composé que de silence. Qu’est ce qui t’a poussé à explorer une telle durée ?
Sylvain Chauveau : C'est en fait un projet qui remonte à 2004. A l'époque j'étais littéralement obsédé par l'utilisation du silence dans la musique. Et puis j'avais besoin de sortir des formats traditionnels de la musique : des morceaux de quatre minutes, un album de quarante à cinquante minutes, concerts de quarante cinq minutes à une heure... J'avais aussi entendu parler d'un opéra de Stockhausen qui durerait une semaine. Alors j'ai réfléchi à une durée vraiment extrême. Des semaines ou des mois, ça ne me semblait pas assez fort. Je voulais que ça se compte en années, pour aller vers un format non pas inédit mais très rare. Et sept parce que ce chiffre m'est venu tout de suite à l'esprit. Il doit avoir des connotations mythologiques.
En tout et pour tout, il ne contient que dix sept fragments musicaux répartis sur les sept ans. C’est plutôt radical comme dépouillement, il y a même un an où il ne se passe strictement rien…
En fait il n'y a qu'un seul fragment : le morceau entier, donc sept ans. Mais à l'intérieur de ce long silence, je voulais qu'il y ait quand même quelques événements sonores. Ca m'aurait semblé trop facile qu'il n'y ait absolument aucun son. ça aurait pu rester simplement un concept : « je dis que j'ai composé une pièce de sept ans, mais elle n'aurait même pas à être jouée ». Or s'il y a des sons audibles à certains moments, alors il faut vraiment composer ces passages et il faut que cela soit joué et écouté.
Est-ce que l’écoute des longues plages de silence est aussi importante selon toi que la « recherche » des moments musicaux ? comme pourrait le laisser penser le site où tu diffuse le morceau puisqu’il s’intitule seven years of silence ?
On touche au coeur du sujet : qu'est-ce que ça fait d'écouter des passages d'une pièce de sept ans ? D'écouter du silence ? C'est encore nouveau car la diffusion a démarré le 1er juin. A mon avis, l'intérêt est d'essayer de s'immerger dans ce silence quand on se connecte sur le site et d'y revenir de temps en temps en écoutant attentivement si par hasard on tombe sur un passage avec des sons audibles (du piano, de l'électronique). On peut aussi s'aider de la partition graphique, qui est affichée, pour essayer de repérer vers quel jour il pourrait y avoir du son. Mais peut-on apprécier d'écouter du silence sur de longs moments ? C'est ce que la diffusion de la pièce montrera.
La pièce silencieuse la plus connue à ce jour est le 4'33" de Cage, You will leave no Mark on the Winter Snow est-il ta réponse à cette œuvre emblématique ?
Ma pièce de sept ans est en fait très différente de celle de John Cage. La sienne est finalement très courte (quatre minutes et trente trois secondes, plus les arrêts entre le mouvements) et peut facilement s'écouter d'un trait. La mienne, au contraire, ne pourra jamais être écoutée en entier, même pas par moi, car elle est évidemment beaucoup trop longue. On ne peut en écouter que des bribes.
Ensuite, le morceau de Cage, qui est destiné à être joué dans une salle de concerts, est en vérité plein de sons : les interprètes ne jouent pas mais la pièce est constituée de tous les sons qui les entourent (bruits du public, toux, bruits de l'éclairage et des systèmes électriques, bruits de l'extérieur, voitures...). Alors que ma pièce est enregistrée, non jouée en public, et qu'elle comporte 99,99% de silence réel.
Entre le silence enregistré de Cage, qui était tout de même dépendant des supports, du bruit de la bande, etc, et le tien qui est purement numérique on a tout de même franchi un cap, en passant du « presque rien » au « rien absolu »…
Oui mais il y a un petit malentendu avec la pièce de John Cage. Elle n'était pas du tout prévue pour être enregistrée. Cage détestait les enregistrements et les disques. Malgré tout, victime de son succès, elle a été enregistrée pas mal de fois, y compris par notre groupe 0, avec Stéphane Garin et Joël Merah : notre premier disque était fait de 5 versions différentes de 4'33" ! Donc au final, les bruits du support, que se soit la bande ou le vinyle ne font pas partie de la pièce de Cage mais ils s'y ajoutent.
Pour You Will Leave No Mark On The Winter Snow, il n'y a pas vraiment de support, c'est enregistré en numérique et en écoute sur internet. Mais malgré tout, le silence numérique que j'ai réalisé n'est pas à 100 % silencieux. Si on monte le volume à fond sur un blanc numérique, quel qu'il soit, on peut entendre des bruits électroniques bizarres. C'est comme si la technologie ne nous permettait pas encore de réaliser un silence parfait.
Ton nouveau morceau sous l’identité de 0, You will leave no Mark on the Winter Snow, dure sept ans, et n’est pratiquement composé que de silence. Qu’est ce qui t’a poussé à explorer une telle durée ?
Sylvain Chauveau : C'est en fait un projet qui remonte à 2004. A l'époque j'étais littéralement obsédé par l'utilisation du silence dans la musique. Et puis j'avais besoin de sortir des formats traditionnels de la musique : des morceaux de quatre minutes, un album de quarante à cinquante minutes, concerts de quarante cinq minutes à une heure... J'avais aussi entendu parler d'un opéra de Stockhausen qui durerait une semaine. Alors j'ai réfléchi à une durée vraiment extrême. Des semaines ou des mois, ça ne me semblait pas assez fort. Je voulais que ça se compte en années, pour aller vers un format non pas inédit mais très rare. Et sept parce que ce chiffre m'est venu tout de suite à l'esprit. Il doit avoir des connotations mythologiques.
En tout et pour tout, il ne contient que dix sept fragments musicaux répartis sur les sept ans. C’est plutôt radical comme dépouillement, il y a même un an où il ne se passe strictement rien…
En fait il n'y a qu'un seul fragment : le morceau entier, donc sept ans. Mais à l'intérieur de ce long silence, je voulais qu'il y ait quand même quelques événements sonores. Ca m'aurait semblé trop facile qu'il n'y ait absolument aucun son. ça aurait pu rester simplement un concept : « je dis que j'ai composé une pièce de sept ans, mais elle n'aurait même pas à être jouée ». Or s'il y a des sons audibles à certains moments, alors il faut vraiment composer ces passages et il faut que cela soit joué et écouté.
Est-ce que l’écoute des longues plages de silence est aussi importante selon toi que la « recherche » des moments musicaux ? comme pourrait le laisser penser le site où tu diffuse le morceau puisqu’il s’intitule seven years of silence ?
On touche au coeur du sujet : qu'est-ce que ça fait d'écouter des passages d'une pièce de sept ans ? D'écouter du silence ? C'est encore nouveau car la diffusion a démarré le 1er juin. A mon avis, l'intérêt est d'essayer de s'immerger dans ce silence quand on se connecte sur le site et d'y revenir de temps en temps en écoutant attentivement si par hasard on tombe sur un passage avec des sons audibles (du piano, de l'électronique). On peut aussi s'aider de la partition graphique, qui est affichée, pour essayer de repérer vers quel jour il pourrait y avoir du son. Mais peut-on apprécier d'écouter du silence sur de longs moments ? C'est ce que la diffusion de la pièce montrera.
La pièce silencieuse la plus connue à ce jour est le 4'33" de Cage, You will leave no Mark on the Winter Snow est-il ta réponse à cette œuvre emblématique ?
Ma pièce de sept ans est en fait très différente de celle de John Cage. La sienne est finalement très courte (quatre minutes et trente trois secondes, plus les arrêts entre le mouvements) et peut facilement s'écouter d'un trait. La mienne, au contraire, ne pourra jamais être écoutée en entier, même pas par moi, car elle est évidemment beaucoup trop longue. On ne peut en écouter que des bribes.
Ensuite, le morceau de Cage, qui est destiné à être joué dans une salle de concerts, est en vérité plein de sons : les interprètes ne jouent pas mais la pièce est constituée de tous les sons qui les entourent (bruits du public, toux, bruits de l'éclairage et des systèmes électriques, bruits de l'extérieur, voitures...). Alors que ma pièce est enregistrée, non jouée en public, et qu'elle comporte 99,99% de silence réel.
Entre le silence enregistré de Cage, qui était tout de même dépendant des supports, du bruit de la bande, etc, et le tien qui est purement numérique on a tout de même franchi un cap, en passant du « presque rien » au « rien absolu »…
Oui mais il y a un petit malentendu avec la pièce de John Cage. Elle n'était pas du tout prévue pour être enregistrée. Cage détestait les enregistrements et les disques. Malgré tout, victime de son succès, elle a été enregistrée pas mal de fois, y compris par notre groupe 0, avec Stéphane Garin et Joël Merah : notre premier disque était fait de 5 versions différentes de 4'33" ! Donc au final, les bruits du support, que se soit la bande ou le vinyle ne font pas partie de la pièce de Cage mais ils s'y ajoutent.
Pour You Will Leave No Mark On The Winter Snow, il n'y a pas vraiment de support, c'est enregistré en numérique et en écoute sur internet. Mais malgré tout, le silence numérique que j'ai réalisé n'est pas à 100 % silencieux. Si on monte le volume à fond sur un blanc numérique, quel qu'il soit, on peut entendre des bruits électroniques bizarres. C'est comme si la technologie ne nous permettait pas encore de réaliser un silence parfait.
En termes pratiques, il est évident que, comme tu le disais, personne ne pourra jamais écouter cette pièce dans son intégralité, pas même toi. En tant que compositeur, n’est ce pas frustrant de concevoir une œuvre qui ne pourra sans doute jamais être appréciée dans sa globalité ?
Non, sincèrement, c'est même plutôt jouissif. Ca ne peut pas être frustrant parce que c'est le concept même de la pièce.
D’ailleurs, comment compose t-on une pièce aussi longue ? Comment as-tu décidé du nombre d’éléments à retenir ? de leur placement au sein de l’œuvre ?
Eh bien en fait ça s'est avéré un véritable casse-tête. C'est pourquoi il m'a fallu à peu près huit ans pour arriver au bout. Au départ j'ai tracé sept lignes qui représentaient chacune une année de la composition. Et là j'ai tracé un petit trait sur chaque endroit où je voulais mettre du son, en choisissant de manière visuelle, esthétique. A la fin, j'ai constaté qu'il y en avait dix-sept. Jusque là, c'était très simple. Mais ensuite il a fallu définir quoi mettre dans ces dix-sept moments de son. Et là, ça devenait extrêmement compliqué. Tout d'abord, quels sons peuvent avoir leur place après des silences de plusieurs mois ? Et à quel rythme doivent-ils jouer ? Ensuite, comment trouver un lieu disponible pendant sept années entières où la pièce pourrait être interprétée et où le public pourrait rentrer et sortir ? Et comment les musiciens pourraient intervenir dans les moments de son sans perturber le silence de la pièce ? Et comment pourraient-ils s'accorder ? Un piano, par exemple, aurait été inutilisable car au bout de quelques mois il serait complètement désaccordé, et on ne pourrait pas faire venir un accordeur pour le réajuster pendant l'exécution du morceau. Au final, la seule solution que j'ai trouvée a été de faire une pièce entièrement enregistrée et de la diffuser sur internet.
C’est effectivement une pièce qui tire largement parti de la possibilité d’internet à diffuser en permanence. Penses-tu qu’il est temps pour les artistes de se poser la question de la diffusion de leurs œuvres via ce médium ?
Je pense que les musiciens y réfléchissent déjà depuis pas mal d'années. On est encore qu'au début du phénomène. Le problème est qu'on est toujours obligé de revenir au support quand même. Les médias ne parlent que des oeuvres qui sortent sur disque. Et puis si on diffuse ou vend sa propre musique tout seul sur le web, on se heurte au même problème qu'avant : comment faire pour que les gens sachent que notre oeuvre existe ? Cela demande de la promotion, donc de l'argent et du temps de travail. Donc on en revient encore et toujours aux labels. Au moins, ma pièce de sept ans est une façon de sortir un peu de ce circuit.
Après ton label Onement et ses disques tirés à un seul exemplaire, tu poursuis encore plus loin ici l’inaudibilité de l’œuvre. Vises-tu à la faire disparaitre purement et simplement ?
ça me fait bizarre que tu dises ça parce que justement j'ai l'impression que l'objectif de mon travail est le retour à l'écoute, à la concentration sur l'écoute. On est envahi de musiques de partout, à tel point qu'il devient très difficile d'écouter attentivement et de ne faire que ça. On stocke tous des heures et des heures de musique enregistrée, mais quand va-t-on l'écouter ? Jamais. Les disques à un exemplaire de mon label Onement visent à redonner un prix à l'écoute. vu que le disque est unique, on a envie de l'écouter minutieusement. En 2009 j'avais aussi organisé des concerts chez moi, à Bruxelles, que j'appelais "micro-concerts". Les musiciens invités devaient jouer deux minutes maximum. Imagine le public qui fait une demi-heure de trajet pour écouter deux minutes de musique... Eh bien le résultat était que l'écoute devenait magique, intense, totalement concentrée. Pour moi c'est dans ce genre d'initiative que l'on peut revenir à l'écoute.
Alors que Onement se référait à Barnett Newman, ne serait-on pas ici plus proche des artistes conceptuels où le processus compte finalement plus que le résultat final ? la partition étant la seule trace visible de l’œuvre ?
Incontestablement, on est dans quelque chose de conceptuel, c'est sûr. Mais j'espère que ce n'est pas que ça. Je pense que les disques Onement sont très bons, très beaux à écouter. Quant à ma pièce de sept ans, j'ose espérer que le résultat est intéressant quand même. Mon espoir est que cela fasse un effet très fort si on tombe par hasard sur un moment où des sons apparaissent. Mais ça, on verra à l'usage si ça marche.
D’un aspect plus « classique », le EP Abstractions, qui vient de sortir sur le label japonais Flau compile différents remixes que tu as réalisé, et qui la plupart du temps n’ont que peu de rapport avec l’original. Comment abordes-tu cet exercice ?
A chaque fois j'essaye de garder l'aspect général du morceau original et de l'amener dans mon univers musical personnel. Ca peut être en gardant la mélodie, le chant. Généralement j'enlève les rythmes. Et puis j'ajoute des sons à moi. Parfois c'est vrai qu'il peut ne plus rester grand chose de l'original.
Trois sont des remixes de ton propre travail. Qu’est-ce qui t’a poussé à te repencher dessus ?
Il y a un remix de mon groupe avec Joan Cambon, Arca que j'avais fait pour un spectacle de danse de Serge Ricci. Il voulait utiliser ce morceau mais il fallait le modifier. Et j'étais bien content du résultat. Il y a aussi un remix d'un morceau de mon premier album solo que j'ai fait pour un film danois. Le réalisateur m'avait demandé de le rendre plus lyrique encore, de gonfler les altos qui jouent la mélodie principale. Et il y a aussi un remix de mon morceau "A_" avec du chant en plus : en fait c'était la première version finie du morceau mais je n'avais quasiment pas gardé ces voix sur le disque au final.
Est-ce une démarche proche de celle qui t’avait amené à reprendre Depeche Mode sur Down to the Bone ?
Non, c'est autre chose. Les reprises acoustiques de Depeche Mode, c'est comme pour la pièce de sept ans : c'est une idée que j'ai eu à un moment et qu'il m'a fallu des années pour mener à terme.
Pour les autres artistes remixés, s’agit-il de commandes ou de choses réalisées à titre personnel ?
Pour les autres il s'agit toujours de commandes. Parfois on me contacte pour un remix. J'aime bien faire ça. Je n'en fais pas souvent mais c'est vrai qu'après tout ce temps, je me suis rendu compte que j'en avais quelques-uns et que je pourrais en faire une sélection pour une sortie sur disque.
En as-tu d’autres en stock, qui n’auraient pas été publiés ?
J'en ai d'autres, oui, mais je crois qu'ils ont tous été publiés, généralement de manière très confidentielle.
Et pour finir, quels sont tes projets pour les mois à venir ?
Pas mal de choses, comme presque toujours. D'abord un mini-CD de 0, le collectif auquel j'appartiens, intitulé 17'16 for Morris Louis, qui va sortir sur le label canadien Chat Blanc, et que j'ai réalisé à partir d'enregistrements avec d'autres musiciens. Puis un album sous mon nom à la rentrée chez FatCat : Simple, un disque très mélodique qui compile mes meilleures musiques de film entre 1998 et 2010. Et puis je suis en train de finir mon prochain album solo, sur lequel je travaille depuis 2010. Il est actuellement au mixage avec Robert Hampson. J'espère qu'il sortira courant 2013. Il y aura aussi un album de 0 en trio, avec des guitares acoustiques et des percussions mélodiques, et différentes collaborations.
www.sylvainchauveau.com
www.0sound.tumblr.com
Non, sincèrement, c'est même plutôt jouissif. Ca ne peut pas être frustrant parce que c'est le concept même de la pièce.
D’ailleurs, comment compose t-on une pièce aussi longue ? Comment as-tu décidé du nombre d’éléments à retenir ? de leur placement au sein de l’œuvre ?
Eh bien en fait ça s'est avéré un véritable casse-tête. C'est pourquoi il m'a fallu à peu près huit ans pour arriver au bout. Au départ j'ai tracé sept lignes qui représentaient chacune une année de la composition. Et là j'ai tracé un petit trait sur chaque endroit où je voulais mettre du son, en choisissant de manière visuelle, esthétique. A la fin, j'ai constaté qu'il y en avait dix-sept. Jusque là, c'était très simple. Mais ensuite il a fallu définir quoi mettre dans ces dix-sept moments de son. Et là, ça devenait extrêmement compliqué. Tout d'abord, quels sons peuvent avoir leur place après des silences de plusieurs mois ? Et à quel rythme doivent-ils jouer ? Ensuite, comment trouver un lieu disponible pendant sept années entières où la pièce pourrait être interprétée et où le public pourrait rentrer et sortir ? Et comment les musiciens pourraient intervenir dans les moments de son sans perturber le silence de la pièce ? Et comment pourraient-ils s'accorder ? Un piano, par exemple, aurait été inutilisable car au bout de quelques mois il serait complètement désaccordé, et on ne pourrait pas faire venir un accordeur pour le réajuster pendant l'exécution du morceau. Au final, la seule solution que j'ai trouvée a été de faire une pièce entièrement enregistrée et de la diffuser sur internet.
C’est effectivement une pièce qui tire largement parti de la possibilité d’internet à diffuser en permanence. Penses-tu qu’il est temps pour les artistes de se poser la question de la diffusion de leurs œuvres via ce médium ?
Je pense que les musiciens y réfléchissent déjà depuis pas mal d'années. On est encore qu'au début du phénomène. Le problème est qu'on est toujours obligé de revenir au support quand même. Les médias ne parlent que des oeuvres qui sortent sur disque. Et puis si on diffuse ou vend sa propre musique tout seul sur le web, on se heurte au même problème qu'avant : comment faire pour que les gens sachent que notre oeuvre existe ? Cela demande de la promotion, donc de l'argent et du temps de travail. Donc on en revient encore et toujours aux labels. Au moins, ma pièce de sept ans est une façon de sortir un peu de ce circuit.
Après ton label Onement et ses disques tirés à un seul exemplaire, tu poursuis encore plus loin ici l’inaudibilité de l’œuvre. Vises-tu à la faire disparaitre purement et simplement ?
ça me fait bizarre que tu dises ça parce que justement j'ai l'impression que l'objectif de mon travail est le retour à l'écoute, à la concentration sur l'écoute. On est envahi de musiques de partout, à tel point qu'il devient très difficile d'écouter attentivement et de ne faire que ça. On stocke tous des heures et des heures de musique enregistrée, mais quand va-t-on l'écouter ? Jamais. Les disques à un exemplaire de mon label Onement visent à redonner un prix à l'écoute. vu que le disque est unique, on a envie de l'écouter minutieusement. En 2009 j'avais aussi organisé des concerts chez moi, à Bruxelles, que j'appelais "micro-concerts". Les musiciens invités devaient jouer deux minutes maximum. Imagine le public qui fait une demi-heure de trajet pour écouter deux minutes de musique... Eh bien le résultat était que l'écoute devenait magique, intense, totalement concentrée. Pour moi c'est dans ce genre d'initiative que l'on peut revenir à l'écoute.
Alors que Onement se référait à Barnett Newman, ne serait-on pas ici plus proche des artistes conceptuels où le processus compte finalement plus que le résultat final ? la partition étant la seule trace visible de l’œuvre ?
Incontestablement, on est dans quelque chose de conceptuel, c'est sûr. Mais j'espère que ce n'est pas que ça. Je pense que les disques Onement sont très bons, très beaux à écouter. Quant à ma pièce de sept ans, j'ose espérer que le résultat est intéressant quand même. Mon espoir est que cela fasse un effet très fort si on tombe par hasard sur un moment où des sons apparaissent. Mais ça, on verra à l'usage si ça marche.
D’un aspect plus « classique », le EP Abstractions, qui vient de sortir sur le label japonais Flau compile différents remixes que tu as réalisé, et qui la plupart du temps n’ont que peu de rapport avec l’original. Comment abordes-tu cet exercice ?
A chaque fois j'essaye de garder l'aspect général du morceau original et de l'amener dans mon univers musical personnel. Ca peut être en gardant la mélodie, le chant. Généralement j'enlève les rythmes. Et puis j'ajoute des sons à moi. Parfois c'est vrai qu'il peut ne plus rester grand chose de l'original.
Trois sont des remixes de ton propre travail. Qu’est-ce qui t’a poussé à te repencher dessus ?
Il y a un remix de mon groupe avec Joan Cambon, Arca que j'avais fait pour un spectacle de danse de Serge Ricci. Il voulait utiliser ce morceau mais il fallait le modifier. Et j'étais bien content du résultat. Il y a aussi un remix d'un morceau de mon premier album solo que j'ai fait pour un film danois. Le réalisateur m'avait demandé de le rendre plus lyrique encore, de gonfler les altos qui jouent la mélodie principale. Et il y a aussi un remix de mon morceau "A_" avec du chant en plus : en fait c'était la première version finie du morceau mais je n'avais quasiment pas gardé ces voix sur le disque au final.
Est-ce une démarche proche de celle qui t’avait amené à reprendre Depeche Mode sur Down to the Bone ?
Non, c'est autre chose. Les reprises acoustiques de Depeche Mode, c'est comme pour la pièce de sept ans : c'est une idée que j'ai eu à un moment et qu'il m'a fallu des années pour mener à terme.
Pour les autres artistes remixés, s’agit-il de commandes ou de choses réalisées à titre personnel ?
Pour les autres il s'agit toujours de commandes. Parfois on me contacte pour un remix. J'aime bien faire ça. Je n'en fais pas souvent mais c'est vrai qu'après tout ce temps, je me suis rendu compte que j'en avais quelques-uns et que je pourrais en faire une sélection pour une sortie sur disque.
En as-tu d’autres en stock, qui n’auraient pas été publiés ?
J'en ai d'autres, oui, mais je crois qu'ils ont tous été publiés, généralement de manière très confidentielle.
Et pour finir, quels sont tes projets pour les mois à venir ?
Pas mal de choses, comme presque toujours. D'abord un mini-CD de 0, le collectif auquel j'appartiens, intitulé 17'16 for Morris Louis, qui va sortir sur le label canadien Chat Blanc, et que j'ai réalisé à partir d'enregistrements avec d'autres musiciens. Puis un album sous mon nom à la rentrée chez FatCat : Simple, un disque très mélodique qui compile mes meilleures musiques de film entre 1998 et 2010. Et puis je suis en train de finir mon prochain album solo, sur lequel je travaille depuis 2010. Il est actuellement au mixage avec Robert Hampson. J'espère qu'il sortira courant 2013. Il y aura aussi un album de 0 en trio, avec des guitares acoustiques et des percussions mélodiques, et différentes collaborations.
www.sylvainchauveau.com
www.0sound.tumblr.com