Machinefabriek par Jean-François Micard
Compositeur infatigable, Rutger Zuydervelt a constitué, au cours des dernières années, l’une des discographies les plus impressionnantes qui soient dans le domaine des musiques ambient et expérimentales. Avec une panoplie sonore des plus restreintes, des outils confinant au primitif et un sens aigu de la texture, son œuvre sous l’identité de Machinefabriek, n’a de cesse de surprendre, de déjouer nos attentes, tout en conservant toujours un impressionnant sens mélodique. Alors que l’année 2012 s’est achevée pour Machinefabriek sur de nouveaux pics créatifs atteints par une série d’albums et de singles essentiels, nous avons voulu pénétrer plus avant dans la fabrique des machines…
Quand as-tu commence à t’intéresser à la musique, et quelles sont les étapes qui t’ont amené à composer le type de musique que tu joues actuellement ?
Rutger Zuydervelt : J’ai commencé à m’intéresser à la musique lorsque j’ai pris des cours de piano et de guitare étant enfant, mais la première fois que j’ai vraiment eu l’impression que la musique pouvait être quelque chose de passionnant, est lorsque j’ai commencé à écouter du doom et du death metal, vers mes seize ans, des groupes comme Morbid Angel, Napalm Death ou My Dying Bride, entre autres. J’ai même joué dans un groupe metal pendant environ trois mois, et j’ai adoré ça, tout en trouvant cela souvent frustrant, du fait des répétitions et des compromis nécessaires.
Peu de temps après, un camarade de classe m’a donné un logiciel, Fast Tracker II, que je pouvais utiliser sur l’ordinateur de mes parents, et cela m’a ouvert de nouveaux horizons. Je pouvais programmer un morceau entier par moi-même ! A cette période, mes goûts avaient évolué vers le breakbeat, le triphop et le drum’n’bass, et ça se ressentait sur mes expérimentations maladroites. Je commençais à découvrir l’idm et les groupes de chez Warp, et je suppose qu’à partir de ce moment là, l’évolution vers ce que je fais actuellement était logique.
Depuis les débuts du projet, Machinefabriek a couvert un vaste spectre sonore, de passage très ambient à des sons plus texturés et plus durs. Est-ce important à tes yeux de redéfinir chaque fois tes paramètres de travail ?
Machinefabriek est avant tout pour moi un moyen d’explorer différentes approches sonores. Je trouve inintéressant de penser qu’il pourrait y avait un « son Machinefabriek » clairement défini. Pour chaque disque, j’essaie de chercher un concept qui pourrait s’appliquer à cet album spécifique. C’est pourquoi, effectivement, je définis de nouveaux paramètres à chaque fois, pour que chaque sortie ait ses qualités propres. Il y a quelques semaines, par exemple, Important a publié Secret Photographs qui est un album très ambient et méditatif. Comme un bain chaud. Et le mois prochain, Entracte va sortir Doepfer Worm, qui est rugueux, anguleux et se rapproche plus d’un tour dans un grand huit. Ces deux albums sont pratiquement opposés du point de vue du style, mais ils sont reliés l’un à l’autre simplement par le fait qu’ils portent tous deux ma signature.
Cette démarche peut donner lieu à des concepts très précis, comme le choix de couleurs pour inspirer les titres de Colour Tones ou le renouvellement à chaque concert de toute ta banque de sons comme dans ta récente tournée avec Celer…
Oui, j’aime travailler avec des limites qui sont à chaque fois différentes. Avoir un certain nombre de « règles » me permet d’être plus focalisé et créatif, tout en gardant un thème cohérent. Ces deux exemples illustrent bien ce dont je te parlais. Dans le cas des concerts avec Celer, la seule chose dont nous ayons discuté par avance est que chaque concert devait être différent. De cette façon nous avons pu garder notre collaboration fraiche et intéressante pour nous, et être agréablement surpris chaque soir.
Tu as longtemps travaillé avec Sound Edit, un logiciel très limité et aujourd’hui dépassé. Préfères-tu ne pas avoir une large palette d’outils à ta disposition ?
Oui, et cela tient autant de mon gout pour les limites que de mon manque de competences en matière de technologie. J’utilise des méthodes vraiment basiques, et meme si je suis désormais passé à Logic (tout en continuant à utiliser Sound Studio, l’éditeur de sons le plus simple qui existe), je ne m’en sers pas pour grand chose : un peu d’édition, de copier-coller et d’équalisation et c’est à peu près tout. C’est d’après moi tout ce dont j’ai besoin pour composer un morceau de musique. Je pense que je veux également éviter que ma musique sonne comme un paquet de plug-ins, sans doute pour m’assurer qu’elle continue à m’être personnelle.
Même si tes outils sont « primitifs », ton univers sonore est très dense, avec de nombreuses couches superposées. S’il devait y avoir une constante dans Machinefabriek, ce pourrait d’ailleurs bien être cette profondeur de son.
J’aime ce contraste entre une musique apparemment statique et toutes ces couches superposées, lorsqu’il ne semble pas se passer grand-chose en surface, mais quand on écoute plus attentivement, on réalise qu’il y a tout un univers sonore dans lequel se perdre.
Quand as-tu commence à t’intéresser à la musique, et quelles sont les étapes qui t’ont amené à composer le type de musique que tu joues actuellement ?
Rutger Zuydervelt : J’ai commencé à m’intéresser à la musique lorsque j’ai pris des cours de piano et de guitare étant enfant, mais la première fois que j’ai vraiment eu l’impression que la musique pouvait être quelque chose de passionnant, est lorsque j’ai commencé à écouter du doom et du death metal, vers mes seize ans, des groupes comme Morbid Angel, Napalm Death ou My Dying Bride, entre autres. J’ai même joué dans un groupe metal pendant environ trois mois, et j’ai adoré ça, tout en trouvant cela souvent frustrant, du fait des répétitions et des compromis nécessaires.
Peu de temps après, un camarade de classe m’a donné un logiciel, Fast Tracker II, que je pouvais utiliser sur l’ordinateur de mes parents, et cela m’a ouvert de nouveaux horizons. Je pouvais programmer un morceau entier par moi-même ! A cette période, mes goûts avaient évolué vers le breakbeat, le triphop et le drum’n’bass, et ça se ressentait sur mes expérimentations maladroites. Je commençais à découvrir l’idm et les groupes de chez Warp, et je suppose qu’à partir de ce moment là, l’évolution vers ce que je fais actuellement était logique.
Depuis les débuts du projet, Machinefabriek a couvert un vaste spectre sonore, de passage très ambient à des sons plus texturés et plus durs. Est-ce important à tes yeux de redéfinir chaque fois tes paramètres de travail ?
Machinefabriek est avant tout pour moi un moyen d’explorer différentes approches sonores. Je trouve inintéressant de penser qu’il pourrait y avait un « son Machinefabriek » clairement défini. Pour chaque disque, j’essaie de chercher un concept qui pourrait s’appliquer à cet album spécifique. C’est pourquoi, effectivement, je définis de nouveaux paramètres à chaque fois, pour que chaque sortie ait ses qualités propres. Il y a quelques semaines, par exemple, Important a publié Secret Photographs qui est un album très ambient et méditatif. Comme un bain chaud. Et le mois prochain, Entracte va sortir Doepfer Worm, qui est rugueux, anguleux et se rapproche plus d’un tour dans un grand huit. Ces deux albums sont pratiquement opposés du point de vue du style, mais ils sont reliés l’un à l’autre simplement par le fait qu’ils portent tous deux ma signature.
Cette démarche peut donner lieu à des concepts très précis, comme le choix de couleurs pour inspirer les titres de Colour Tones ou le renouvellement à chaque concert de toute ta banque de sons comme dans ta récente tournée avec Celer…
Oui, j’aime travailler avec des limites qui sont à chaque fois différentes. Avoir un certain nombre de « règles » me permet d’être plus focalisé et créatif, tout en gardant un thème cohérent. Ces deux exemples illustrent bien ce dont je te parlais. Dans le cas des concerts avec Celer, la seule chose dont nous ayons discuté par avance est que chaque concert devait être différent. De cette façon nous avons pu garder notre collaboration fraiche et intéressante pour nous, et être agréablement surpris chaque soir.
Tu as longtemps travaillé avec Sound Edit, un logiciel très limité et aujourd’hui dépassé. Préfères-tu ne pas avoir une large palette d’outils à ta disposition ?
Oui, et cela tient autant de mon gout pour les limites que de mon manque de competences en matière de technologie. J’utilise des méthodes vraiment basiques, et meme si je suis désormais passé à Logic (tout en continuant à utiliser Sound Studio, l’éditeur de sons le plus simple qui existe), je ne m’en sers pas pour grand chose : un peu d’édition, de copier-coller et d’équalisation et c’est à peu près tout. C’est d’après moi tout ce dont j’ai besoin pour composer un morceau de musique. Je pense que je veux également éviter que ma musique sonne comme un paquet de plug-ins, sans doute pour m’assurer qu’elle continue à m’être personnelle.
Même si tes outils sont « primitifs », ton univers sonore est très dense, avec de nombreuses couches superposées. S’il devait y avoir une constante dans Machinefabriek, ce pourrait d’ailleurs bien être cette profondeur de son.
J’aime ce contraste entre une musique apparemment statique et toutes ces couches superposées, lorsqu’il ne semble pas se passer grand-chose en surface, mais quand on écoute plus attentivement, on réalise qu’il y a tout un univers sonore dans lequel se perdre.
Même
si c’est moins le cas aujourd’hui, tu as énormément publié de
mini CD trois pouces. Est-ce le format le plus adapté selon toi à
Machinefabriek ?
Comme tu l’as dit, ça a été le cas, mais plus maintenant. Je me concentre davantage sur des albums complets désormais, mais lorsque je publiais ces mini-CD, leur durée maximale de vingt et une minutes me semblait le format idéal pour raconteur mon “histoire”. Je suis plus à l’aise avec la durée d’un album maintenant, même si je trouve le format vinyle sept pouces très attirant et que j’en ai publié plusieurs ces derniers temps.
Est-ce que le fait que tu puisses désormais rendre ces sorties disponibles indéfiniment sur ta page Bandcamp a changé ta manière de considérer ces publications, qui se trouvent du coup moins « intimes » ?
Non, pas vraiment. J’ai toujours voulu que ma musique soit disponible pour tous et pas simplement pour quelques collectionneurs, c’est la raison pour laquelle un grand nombre de mes sorties se trouve sur ma page Bandcamp. J’avais arrêté de tirer des copies supplémentaires des mini-CD car cela me demandait beaucoup de travail, que ce soit pour la gravure, la découpe ou le pliage des pochettes. Bandcamp m’offre une bonne solution.
Considères-tu chacun de tes disques comme un instantané d’un moment, ou comme un chapitre d’une histoire plus longue ?
Pour moi, chaque disque est effectivement un instantané. Pas dans le sens littéral d’une note dans un carnet, mais ils sont à chaque fois la cristallisation d’une idée que j’ai eu à un moment donné. Je ne sais pas si mon œuvre complète forme une histoire cohérente lorsque tu prends tous mes travaux dans leur ensemble, c’est une question que je ne me suis jamais posée. C’est sans doute à quelqu’un d’extérieur de décider si c’est le cas.
Qu’est ce qui t’inspire, au quotidien, dans ta création ?
Cela peut vraiment être n’importe quoi. Quelque chose que j’ai entendu à l’extérieur, un film, un autre morceau de musique, ou simplement une pensée qui me trotte dans la tête. Un certain nombre de titres que je compose sont des commandes pour des films, des installations ou des spectacles de danse. Dans ce cas là, le concept de la commande peut m’orienter dans une certaine direction, me donner les limites dont nous parlions.
Au fil des ans, tu as collaboré avec de nombreux artistes, dans des rencontres qui étaient parfois attendues, comme avec Steve Roden ou Celer, et d’autres plus étonnantes comme avec Jaap Blonk. Comment ces collaborations surviennent-elles ? Sollicites-tu ces artistes ?
Dans les cas de Jaap Blonk et Celer, nous avons donné des concerts ensemble, qui ont amené l’idée d’une collaboration. Mais les sept pouces que j’ai enregistré avec Will Long (ndlr : Celer), l’ont été à partir de fichiers échangés en ligne, nous nous sommes envoyés et renvoyés des sons jusqu’à ce que les titres soient finis. Avec Jaap, nous sommes juste allés dans un studio où nous avons enregistré plusieurs heures d’improvisation. Je ne sollicite pas particulièrement d’autres artistes, mais le monde de la musique expérimentale est petit, c'est donc relativement facile de croiser la route de musiciens avec qui il est intéressant de travailler.
Lorsque tu travailles avec quelqu'un d'autre, comment approches-tu la composition ?
La plupart du temps, il n'existe pas de plan prédéterminé avant que nous ne commencions, et c'est ainsi que j'aime travailler. Lorsque nous commençons à composer, la musique s'orientera automatiquement dans une direction qui intéresse autant mon collaborateur que moi. Ceci vaut d'ailleurs aussi bien pour le fait d'enregistrer un disque que pour celui de jouer live. L'aspect de surprise est très important pour moi.
A de très rares exceptions, ces collaborations sont des expériences uniques. Cela te semble t-il préférable au fait d'approfondir les relations entre deux univers au cours de collaborations au long cours ?
Mes collaborations avec Celer ou Gareth Davies se sont révélées plus longues que cela, avec beaucoup de concerts dans le cas de Gareth. Mais comme la plupart de mes collaborateurs, je suis simplement très occupé, et il n'est pas toujours évident, d'un point de vue logistique, de mettre en place une collaboration. En définitive, le travail solo reste ma préoccupation principale.
Lorsque tu joues en live, ton équipement est volontairement limité, et presque tout est improvisé. Est-ce pour ne pas risquer de répéter des “routines” acquises dans ton travail studio ?
Pour commencer, cela ne m'intéresse pas du tout de rejouer des titres que j'ai déjà enregistré pour un album. Dans la plupart des cas, je ne saurais de toutes manières même pas comment faire, et je préfère largement improviser, créer quelque chose de nouveau sur le moment, pour que chaque concert soit une expérience nouvelle. Lorsque je travaille sur un titre pour un disque, je ne compose en revanche jamais en temps réel, il y a un important travail d'écoute, d'édition, de réécoute, etc. Devoir jouer une longue pièce en temps réel est quelque chose de complètement différent. Jouer live est une expérience excitante et parfois stressante, et mon matériel dans ces cas là est si minimaliste que ça m'évite de m'égarer en cours de route.
En définitive, que préfères-tu ? L'environnement contrôlé du studio ou l'improvisation sur scène ?
Je pense que je préfère le studio. Je m'y sens nettement plus à l'aise, le contrôle que j'ai sur mes matériaux me permettant d'exprimer le plein potentiel d'une idée. Mais rien ne peut vraiment remplacer ce que je ressens lorsqu'un concert se passe vraiment bien. C'est très puissant, et je ne voudrais pas me passer de cela non plus.
Tu as récemment publié avec Secret Photographs une bande originale de film qui s’avère être un album ambient très mélancolique. Aimerais-tu travailler davantage dans le domaine du cinéma ?
Absolument ! C’est un médium qui m’inspire beaucoup, et le fait de composer quelque chose de spécifique pour un film, ou une pièce de théâtre ou de danse peut être très satisfaisant. Si cela marche bien, cela peut être l’équivalent de 1+1=3. Et comme l’aspect cinématique est toujours présent dans ma musique, je trouve que cela a du sens.
As-tu en tête un but “ultime” pour Machinefabriek ? Un rêve que tu n’aurais encore pu accomplir ?
Non, aucun. Lorsque j’ai commence, je n’aurais jamais pensé, ni même osé rêver en être au point où je suis actuellement. Après avoir joué dans tant de pays différents, rencontré tant de personnes formidables et publié des disques sur la plupart de mes labels préférés, je peux dire que je mourrais heureux. Mais ce n’est pas pour cela que je vais devenir fainéant (rires).
A ce propos, comme tu as toujours une actualité très chargée, quelles sont tes sorties et projets prévus pour les mois à venir ?
Je travaille depuis le début du mois dernier sur une composition pour un ballet du chorégraphe Ivan Pérez, en collaboration avec Aaron Martin, et en janvier je vais également collaborer avec Simon Scott pour un festival à Cologne, sur un orgue d’église. Du côté des albums, après mes collaborations avec Chris Dooks et Michel Banabila, il y aura la sortie de mon disque solo chez Entr’acte, et en février, je publierais un mini album sur le label de The Notwist, Alien Transistor. Et d’autres choses plus tard, évidemment.
http://www.machinefabriek.nu
Comme tu l’as dit, ça a été le cas, mais plus maintenant. Je me concentre davantage sur des albums complets désormais, mais lorsque je publiais ces mini-CD, leur durée maximale de vingt et une minutes me semblait le format idéal pour raconteur mon “histoire”. Je suis plus à l’aise avec la durée d’un album maintenant, même si je trouve le format vinyle sept pouces très attirant et que j’en ai publié plusieurs ces derniers temps.
Est-ce que le fait que tu puisses désormais rendre ces sorties disponibles indéfiniment sur ta page Bandcamp a changé ta manière de considérer ces publications, qui se trouvent du coup moins « intimes » ?
Non, pas vraiment. J’ai toujours voulu que ma musique soit disponible pour tous et pas simplement pour quelques collectionneurs, c’est la raison pour laquelle un grand nombre de mes sorties se trouve sur ma page Bandcamp. J’avais arrêté de tirer des copies supplémentaires des mini-CD car cela me demandait beaucoup de travail, que ce soit pour la gravure, la découpe ou le pliage des pochettes. Bandcamp m’offre une bonne solution.
Considères-tu chacun de tes disques comme un instantané d’un moment, ou comme un chapitre d’une histoire plus longue ?
Pour moi, chaque disque est effectivement un instantané. Pas dans le sens littéral d’une note dans un carnet, mais ils sont à chaque fois la cristallisation d’une idée que j’ai eu à un moment donné. Je ne sais pas si mon œuvre complète forme une histoire cohérente lorsque tu prends tous mes travaux dans leur ensemble, c’est une question que je ne me suis jamais posée. C’est sans doute à quelqu’un d’extérieur de décider si c’est le cas.
Qu’est ce qui t’inspire, au quotidien, dans ta création ?
Cela peut vraiment être n’importe quoi. Quelque chose que j’ai entendu à l’extérieur, un film, un autre morceau de musique, ou simplement une pensée qui me trotte dans la tête. Un certain nombre de titres que je compose sont des commandes pour des films, des installations ou des spectacles de danse. Dans ce cas là, le concept de la commande peut m’orienter dans une certaine direction, me donner les limites dont nous parlions.
Au fil des ans, tu as collaboré avec de nombreux artistes, dans des rencontres qui étaient parfois attendues, comme avec Steve Roden ou Celer, et d’autres plus étonnantes comme avec Jaap Blonk. Comment ces collaborations surviennent-elles ? Sollicites-tu ces artistes ?
Dans les cas de Jaap Blonk et Celer, nous avons donné des concerts ensemble, qui ont amené l’idée d’une collaboration. Mais les sept pouces que j’ai enregistré avec Will Long (ndlr : Celer), l’ont été à partir de fichiers échangés en ligne, nous nous sommes envoyés et renvoyés des sons jusqu’à ce que les titres soient finis. Avec Jaap, nous sommes juste allés dans un studio où nous avons enregistré plusieurs heures d’improvisation. Je ne sollicite pas particulièrement d’autres artistes, mais le monde de la musique expérimentale est petit, c'est donc relativement facile de croiser la route de musiciens avec qui il est intéressant de travailler.
Lorsque tu travailles avec quelqu'un d'autre, comment approches-tu la composition ?
La plupart du temps, il n'existe pas de plan prédéterminé avant que nous ne commencions, et c'est ainsi que j'aime travailler. Lorsque nous commençons à composer, la musique s'orientera automatiquement dans une direction qui intéresse autant mon collaborateur que moi. Ceci vaut d'ailleurs aussi bien pour le fait d'enregistrer un disque que pour celui de jouer live. L'aspect de surprise est très important pour moi.
A de très rares exceptions, ces collaborations sont des expériences uniques. Cela te semble t-il préférable au fait d'approfondir les relations entre deux univers au cours de collaborations au long cours ?
Mes collaborations avec Celer ou Gareth Davies se sont révélées plus longues que cela, avec beaucoup de concerts dans le cas de Gareth. Mais comme la plupart de mes collaborateurs, je suis simplement très occupé, et il n'est pas toujours évident, d'un point de vue logistique, de mettre en place une collaboration. En définitive, le travail solo reste ma préoccupation principale.
Lorsque tu joues en live, ton équipement est volontairement limité, et presque tout est improvisé. Est-ce pour ne pas risquer de répéter des “routines” acquises dans ton travail studio ?
Pour commencer, cela ne m'intéresse pas du tout de rejouer des titres que j'ai déjà enregistré pour un album. Dans la plupart des cas, je ne saurais de toutes manières même pas comment faire, et je préfère largement improviser, créer quelque chose de nouveau sur le moment, pour que chaque concert soit une expérience nouvelle. Lorsque je travaille sur un titre pour un disque, je ne compose en revanche jamais en temps réel, il y a un important travail d'écoute, d'édition, de réécoute, etc. Devoir jouer une longue pièce en temps réel est quelque chose de complètement différent. Jouer live est une expérience excitante et parfois stressante, et mon matériel dans ces cas là est si minimaliste que ça m'évite de m'égarer en cours de route.
En définitive, que préfères-tu ? L'environnement contrôlé du studio ou l'improvisation sur scène ?
Je pense que je préfère le studio. Je m'y sens nettement plus à l'aise, le contrôle que j'ai sur mes matériaux me permettant d'exprimer le plein potentiel d'une idée. Mais rien ne peut vraiment remplacer ce que je ressens lorsqu'un concert se passe vraiment bien. C'est très puissant, et je ne voudrais pas me passer de cela non plus.
Tu as récemment publié avec Secret Photographs une bande originale de film qui s’avère être un album ambient très mélancolique. Aimerais-tu travailler davantage dans le domaine du cinéma ?
Absolument ! C’est un médium qui m’inspire beaucoup, et le fait de composer quelque chose de spécifique pour un film, ou une pièce de théâtre ou de danse peut être très satisfaisant. Si cela marche bien, cela peut être l’équivalent de 1+1=3. Et comme l’aspect cinématique est toujours présent dans ma musique, je trouve que cela a du sens.
As-tu en tête un but “ultime” pour Machinefabriek ? Un rêve que tu n’aurais encore pu accomplir ?
Non, aucun. Lorsque j’ai commence, je n’aurais jamais pensé, ni même osé rêver en être au point où je suis actuellement. Après avoir joué dans tant de pays différents, rencontré tant de personnes formidables et publié des disques sur la plupart de mes labels préférés, je peux dire que je mourrais heureux. Mais ce n’est pas pour cela que je vais devenir fainéant (rires).
A ce propos, comme tu as toujours une actualité très chargée, quelles sont tes sorties et projets prévus pour les mois à venir ?
Je travaille depuis le début du mois dernier sur une composition pour un ballet du chorégraphe Ivan Pérez, en collaboration avec Aaron Martin, et en janvier je vais également collaborer avec Simon Scott pour un festival à Cologne, sur un orgue d’église. Du côté des albums, après mes collaborations avec Chris Dooks et Michel Banabila, il y aura la sortie de mon disque solo chez Entr’acte, et en février, je publierais un mini album sur le label de The Notwist, Alien Transistor. Et d’autres choses plus tard, évidemment.
http://www.machinefabriek.nu
Publications machiniques
Avec un artiste aussi prolifique que Rutger Zuydervelt, il n'est jamais évident de se lancer dans l'exercice de la chronique, Machinefabriek ayant toujours deux à trois longueurs d'avances sur nous, et un nouveau flot de sorties venant compléter ou démentir ce qui aurait pu être écrit. Néanmoins, et pour accompagner l'interview qui précède, nous nous sommes lancés dans la poursuite folle de quelques uns trésors lâchés ces derniers mois par Machinefabriek, et pris le temps de nous poser pour les laisser décanter le temps nécessaire.
BANABILA & MACHINEFABRIEK : Banabila & Machinefabriek (autoproduction)
Habitant depuis des années tous les deux à Rotterdam, les prolixes Michel Banabila et Rutger Zuydervelt étaient sans doute voués à collaborer ensemble un jour où l'autre. Evoluant en parallèle dans des registres où les points communs (field recordings, sons et texture d'instruments réels, électronique volontairement primitive) sont finalement moins nombreux que les différences, les deux artistes néerlandais n'ont pourtant démarré leur travail commun qu'en septembre dernier, en se promettant de prendre leur temps... jusqu'à ce que, emballés par leurs échanges de fichiers, ils accélèrent la cadence et sortent leur album commun bien plus rapidement que prévu. Impossible ici de détecter les sources de chacun, les neuf titres ayant été composés par un échange permanent de fichiers, chacun retravaillant l'oeuvre de l'autre jusqu'à ce qu'apparaisse un territoire nouveau, où les climats purement ambient se voient grignoter par des saccades électroniques, où les drones âcres côtoient des guitares parasitées. Ne se reposant jamais sur leurs lauriers, les deux compositeurs se livrent ici en toute candeur, comme s'ils découvraient juste leurs outils et font de Banabila & Machinefabriek un album sans cesse surprenant, qui mérite nombre de redécouvertes. Pratiquement indisponible dans sa version CD, cette superbe collaboration est en revanche téléchargeable sur les sites respectifs de ses auteurs.
CHRIS DOOKS & MACHINEFABRIEK : The Eskdalemuir Harmonium (Komino Records)
Autre collaboration, cette rencontre entre Chris Dooks et Machinefabriek est une oeuvre composée autour d'un harmonium trouvé en cours de déliquescence avancée par Chris Dooks dans une ferme en Ecosse. Enregistrant autant de sons que possible sur cet instrument à la splendeur fanée avant qu'il ne se désintègre pour de bon, Dooks a ensuite entrepris de composer, en compagnie de Machinefabriek, quatre titres en hommage à cet instrument de musique oublié. Oscillant entre le reportage radio, à travers la voix de la propriétaire de la ferme décrivant l'harmonium et son histoire, field recordings de l'instrument lui même et de son environnement, fragments de chansons anciennes, exploration percussive, drones profonds, mélodies extirpées de la ruine et envolées mélancoliques, The Eskadelemuir Harmonium est un album aussi curieux que fascinant, tenant parfois autant de l'ambient-dub que de l'exploration sonore pure et dure. Il y a quelques années, un tel album aurait sans doute été rangé dans la vague émergeante de la folktronica, mais ces étiquettes n'ont plus guère de sens désormais, et au final, Chris Dooks et Machinefabriek nous livrent ici une oeuvre à la fois respectueuse du passé et inventive, qui ne tombe jamais dans la simple nostalgie sonore. Ce qui est déjà beaucoup.
STEVE RODEN & MACHINEFABRIEK : Lichtung (Eat, Sleep, Repeat)
S'il est bien une collaboration que l'on espérait depuis des années, c'est bien celle de Machinefabriek avec le pionnier américain du lowercase, Steve Roden, tant tous deux sont également à même, dans des registres différents, de donner corps au plus petit événement, de transformer les sons du quotidien en oeuvre d'art. Composé pour une installation de la vidéaste Sabine Buerger autour du concept allemand d' « heimat » (la patrie, que l'on pourrait imparfaitement traduire par patrie), Lichtung prend sa source dans des field recordings réalisés par Rutger Zuydervelt au bord d'un lac situé à proximité de la galerie, auxquels Steve Roden a répondu par des enregistrements captés dans son propre environnement. Contrairement aux autres collaborations récentes de Machinefabriek, celle-ci ne cherche pas à brouiller les pistes, et par de nombreux aspects pourrait être considéré davantage comme un split album sur un thème commun plutôt que comme une collaboration à proprement parler, chaque artiste conservant son propre espace et la maitrise complète de son univers sur des titres alternés. Ainsi, là où Machinefabriek a tendance à produire des morceaux denses et entremélés, chargés d'un certain drame, Steve Roden est plus solaire, plus mélancolique (les superbes cordes pincées de «Ice Strings » en sont un bel exemple). Ensemble, les deux compositeurs dressent ainsi le visage d'une patrie virtuelle et affective, une nationalité de coeur et d'esprit où se rejoindraient pour un temps les imaginaires. Une TAZ mentale au sein de laquelle il est bien agréable de poser ses bagages.
MACHINEFABRIEK : Secret Photographs (Important Records)
Souvent très cinématique, la musique de Machinefabriek se devait, un jour ou l'autre, d'accompagner un film, et c'est enfin le cas avec le très ambient et dépouillé Secret Photographs, dont les trois titres oscillant chacun entre vingt et trente minutes ont été composés pour servir de bande originale au film éponyme de Mike Holbloom. Evidemment, nous ne sommes pas ici dans un registre de soundtrack hollywoodien, et le film en question sera uniquement constitué d'images fixes, des photographies réalisées dans les années 30 par le gangster Alvin Karpis lors de son exil en Espagne. Dévoré par cette nouvelle passion, Karpis réalisa quantité de clichés qu'il ne montra jamais à personne mais qui finirent, un jour, par atterir sur ebay, où Holbloom les a acheté. Pour illustrer ces images, Rutger Zuydervelt a composé l'un de ses albums les plus minimalistes, tout du moins en surface. Car si la palette instrumentales est ici des plus dépouillées, quelques tonalités se fondant les unes dans les autres, une guitare aux notes cerclées de vides et d'échos, quelques crachotements, les profondeurs des morceaux révèlent bien autre chose, et une écoute attentive et répétée dévoilera des strates supplémentaires de crépitements statiques, de fields recordings, de sons tellement manipulés qu'ils en deviennent inidentifiables. Changeant alors de réalité, un peu à la manière de Karpis lui même, gangster brutal devenu photographe obsessionnel, Secret Photographs se découvre alors pour ce qu'il est vraiment : un monde clos sur lui-même, où des éléments reviennent hanter le spectre sonore d'un titre à l'autre, où des motifs s'assombrissent, s'altèrent et résonnent jusqu'à faire virer la douce rêverie des premiers instants en un cauchemar sans issue. Nettement plus convaincant qu'une bande originale ordinaire, Secret Photographs n'a nul besoin de l'apport des images pour exister et imposer sa rouerie impressionnante.
MACHINEFABRIEK : Stroomtoon (Nuun Records)
Traduisible par « le son de l'électricité », Stroomtoon est un album qui touche au plus près au coeur de ce qu'est la musique électronique expérimentale. Armé d'un simple générateur de fréquences et de quelques pédales destinées à boucler les sons ainsi générés, Machinefabriek aurait pu musarder sur les terres d'un minimalisme à la Raster Noton, le principe n'étant guère éloigné de ceux qui régissent la musique d'un Carsten Nicolai ou d'un Ryoji Ikeda. Mais le compositeur hollandais ne saurait aborder un tel exercice sans abandonner ses bagages, et Stroomtoon vibre, comme l'ensemble de la discographie de Rutger Zuydervelt, d'un dialogue constant entre la surface du son, n'évoluant que sur une gamme très lente, et des profondeurs riches en micro-événements et en ruptures brutales de ton. Ainsi, lorsque « Eén » ou « Vier » semblent n'être que nappes, des échos et des drones cachés viennent en bousculer l'ordonnancement, tandis que « Drie » vibre de multiples crépitements ou que « Twee » implose d'un trop plein d'énergie rauque. Dépouillé sans être austère, Stroomtoon n'est peut-être pas tant que cela le son de l'électricité brute que celui de l'énergie, qui emplit son système et lui donne vie à la manière de la créature de Frankenstein.
MACHINEFABRIEK : Colour Tones (Fang Bomb)
Comme sa discographie l'a déjà largement prouvé, les contraintes conviennent particulièrement bien à Rutger Zuydervelt. Qu'il choisisse de réduire sa palette instrumentale au strict minimum ou qu'il se concentre sur un thème précis, c'est souvent dans ce type de situation qu'il nous a offert les albums les plus pertinents. Conçu pour une exposition autour des textes basés sur la couleur d'Imants Ziedonis, Colour Tones est pour Machinefabriek l'occasion de livrer six pièces colorées tout en nous demandant « d'entendre les couleurs ». Evidemment polychrome, Colour Tones est l'un des albums les plus variés de Machinefabriek, où guitares, batteries, clarinettes, orgues et quantité d'autres sonorités viennent enrichir le spectre coloré, tandis que les drones, les vibrations électrostatiques et les crépitements construisent une ossature dense. Respectueux de son thème, Colour Tones oscille entre le minimalisme étouffé de « Grey » et les grondements de « Red », les emportements rythmiques de « Brown » (sans doute le morceau le plus étonnant de l'album) ou la mélancolie aérienne de « Blue ». Cloturant ce voyage chromatique, « Mosaic » qui est en fait l'enregistrement de la prestation live de Machinefabriek le jour du vernissage de l'exposition, en agrège les éléments et d'autres pour une composition nouvelle voyageant entre particules de glitch et envolées ambient, sans doute le meilleur moyen de refermer cet album à colorier.
MACHINEFABRIEK : Brokstukken (Champion Version)
Nouveau format de prédilection de Machinefabriek, le vinyle sept pouces après, le mini CD-R, le support choisi par Rutger Zuydervelt pour explorer les courtes durées. Composé de trois vinyles ou d'un CD-R autoproduit, Brokstukken est constitué de six titres réalisés à partir de boucles de guitares et d'un Korg Monotron, le tout complété de quelques pédales d'effets. Plus sec que les récentes productions de Machinefabriek, Brokstukken laisse une large place à des effets de souffle, des boucles abatardies, des nappes minimales, des crépitements et des sons de frottement, dans des titres parfois très courts. Moins indispensable que les albums précités, ce triple vinyle offre tout de même de beaux moments de grâce, à l'image de l'envolée hagarde de sa quatrième face.