P16.D4 par Jean-François Micard
Groupe phare de la musique expérimentale allemande des années 80, P16.D4 aura, en une poignée d’albums, contribué à reculer les frontières de l’industriel naissant, tout en dressant des ponts entre musique savante et rock d’avant-garde. Référence incontournable de tout un pan de l’électronique radicale contemporaine comme de la noise la plus abstraite, P16.D4 n’en est pas moins demeuré, durant toute son existence, dans un relatif anonymat, dû autant à une volonté d’effacement de leur part qu’à des pratiques conceptuelles souvent austères. La sortie du monumental coffret rétrospectif Passagen (Monotype Records), qui réunit les six albums du groupe et un DVD ainsi que des cartes et un livret largement illustré, était l’occasion rêvée de revenir sur l’œuvre de ces explorateurs résolus de contrées sonores alors inconnues.
A l’aube des années 80, alors que l’Angleterre, tout juste remise des débordements du punk, se réveille aux sonorités agressivement froides et angoissées du post-punk et des tout premiers vagissements de la new-wave, l’Allemagne invente sa propre alternative, à travers l’étiquette fourre-tout de Neue Deutsche Welle ou NDW, sous laquelle on regroupera des groupes aussi différents que Der Plan, DAF, Einstürzende Neubauten, Die Krupps ou ce qui allait devenir P16.D4. C’est lors d’un calamiteux festival post-punk à Mayence organisé en janvier 1980 par le groupe local Messehalle que Joachim Stender, le chanteur de celui-ci, déserté par ses propres troupes, allait être rejoint sur scène par Ralf Wehowsky, formant le noyau originel d’un groupe nommé P.D. Rapidement rejoints par Joachim Pense, un jeune professeur de guitare, le groupe, dont les initiales dissimulent le nom de Progressive Disco, commence alors à chercher sa voix. Comme l’explique Ralf Wehowsky, « Nos influences venaient aussi bien du punk et du rock psychédélique que de la musique nouvelle, de l’industriel et du disco, que nous mélangions à notre manière, en nous servant de bandes et d’une instrumentation rock classique ». Car là où il était de bon ton dans le punk de nier toute formation musicale et toute influence « sérieuse », Pense et Wehowsky disposent, outre d’une sérieuse expérience de la guitare, d’une culture musicale des plus étendues (ce dernier se souvenant qu’il écoutait Stockhausen à douze ans), allant des expériences les plus pointues des pionniers de l’électronique et de la musique concrète au krautrock et au jazz. Rien ou presque de ce bagage impressionnant ne transparait pourtant dans les œuvres initiales de P.D., si ce n’est peut-être une certaine inventivité dans les formes, le trio utilisant abondamment des bandes et cassant la structure rock en utilisant deux basses ou se passant vite d’une batterie, Achim Szepanski, second batteur du groupe en à peine quelques mois, vendant son instrument pour faire l’acquisition d’un synthétiseur Korg MS20. C’est sous cette forme de quatuor que P.D. enregistre son unique album, Inweglos, au croisement d’une electro-pop à la Der Plan, de l’ironie des Residents ou de la froideur mortifère de certains titres de Throbbing Gristle. Avec une froideur manifeste, le groupe se moque des clichés de la Neue Deutsche Welle et de ses références pas toujours assumées (Virilio, Baudrillard…) car, ainsi que le précise Wehowsky : « La différence principale entre nous et la Neue Deutsche Welle, c’était que, nous, nous savions ce que nous faisions ». Hautement conceptuelle sous ses dehors presque innocents, la musique de P.D aurait sans doute pu leur permettre une carrière honorable, si le groupe n’avait été handicapé par de constants changements de personnel, Ralf Wehowsky se trouvant souvent être le seul membre permanent de P.D. A quelques heures d’un concert, P.D se divisera même en deux entités distinctes : P.D, sur le point de muter en P16.D4 et un Permutative Distorsion plus proche de la Neue Deutsche Welle, Ralf Wehowsky étant là encore le seul membre commun aux deux formations. On le retrouvera d’ailleurs, ainsi que les autres membres de P.D. et du futur P16.D4 dans une pléthore de sideprojects, tous signés sur le propre label du groupe, Wahrnehmungen (Kasperle Killerpilz, LLL, Kurzschluss, Rogalli…) qui, nettement plus expérimentaux que P.D. dessinent déjà les contours de l’œuvre à venir.
Car il était temps pour Ralf Wehowsky d’entamer une nouvelle étape. « Il était devenu clair que j’étais le seul membre continuel de P.D., et J’ai donc décidé de changer le nom du groupe de façon à marquer à la fois la continuité et la rupture. Le nom a donc été « doublé » en ajoutant le nombre correspondant à la position des lettres dans l’alphabet (16 pour P et 4 pour D) ». Encore fluctuants, l’identité et le son des premières œuvres, sur cassette uniquement, signés P16.D4, Wer Nicht Arbeiten Will Soll Auch Nicht Essen ! et V.N.R.L., toutes deux parues en 1981, doivent encore beaucoup à l’héritage de P.D., même si des passages ouvertement expérimentaux témoignent d’une volonté de recherche plus grande. Sombre, poisseuse, la musique de P16.D4 s’articule alors encore autour d’instruments « traditionnels » tels qu’une basse, un saxophone ou une batterie, dont le jeu volontairement décalé n’offre jamais une réelle assise à des morceaux évoluant au confluent du krautrock, de l’industriel naissant et de la musique concrète. Il faudra pourtant attendre la sortie en 1984 du premier véritable album de P16.D4, Kühe In ½ Trauer, pour comprendre où le groupe, stabilisé autour de Ralf Wehowsky, Roger Schönauer et Ewald Weber voulait nous emmener. Radicalement éloigné de tout ce qui l’avait précédé, Kühe In ½ Trauer se construit autour du nouveau matériel acquis par le groupe, à savoir des magnétophones et une table de mixage. Aux instruments réellement audibles, P16.D4 préfère donc désormais l’enregistrement, forcément distancié et retravaillé d’improvisations, et si quelques bribes d’instruments venaient à transparaitre, ce serait comme simples sources sonores malléables traitées comme des samples avant l’heure, une technique qui permet au trio d’expérimenter sans fin sur la matière sonore, de faire voisiner ses propres instruments avec une foule d’emprunts extérieurs. Le travail n’est donc plus tant de l’ordre du jeu musical, ni même de la composition à proprement parler que de celui de l’assemblage, du découpage, du montage, avec une précision chirurgicale laissant peu de place à la spontanéité, ce qui expliquera sans doute le temps que mettra P16.D4 à composer chaque album. Il n’est qu’à lire les explications données par Ralf Wehowsky à propos de la construction d’ « Ekstase des Sozialismus » sur cet album, pour comprendre à quel point le processus est long et complexe : « Le morceau repose essentiellement sur une improvisation à trois, Ewald jouant du saxophone et les deux autres manipulant les sons de celui-ci en temps réel à l’aide de ring modulators, de filtres, de distorsion, etc. L’enregistrement, d’une durée initiale de dix minutes, a été ensuite monté pour être réduit à cinq, certaines parties ayant été complètement supprimées, d’autres répétées et d’autres encore déplacées à d’autres endroits dans le morceau. Tout a été complètement restructuré. Ceci a ensuite été combiné avec un enregistrement de piano et une bande avec des chœurs provenant d’un disque mis en boucle, les deux ayant été fortement édités pour s’accorder avec le saxophone. Pour la version finale, toutes les parties étaient bien sûr présentes, mais seul le saxophone était reconnaissable. Les autres pistes étaient quasiment en dessous du seuil de l’audition, mais pas en dessous de celui de la perception ». Particulièrement dense et travaillée, Kuhe in ½ Trauer se distingue nettement au milieu de la production industrielle de l’époque, non seulement par ses multiples niveaux de lectures, mais aussi par son attention portée au moindre détail, fut-il aussi infime qu’un cut de radio ou qu’une mélodie de piano empruntée et délicatement altérée pour apparaitre plus sinistre encore. Imprévisible, le chef d’œuvre inaugural qu’est Kuhe in ½ Trauer peut également partir dans n’importe quelle direction, souvent plusieurs fois par titre, sans donner pour autant l’impression que le groupe hésite sur la voie à suivre.
A l’aube des années 80, alors que l’Angleterre, tout juste remise des débordements du punk, se réveille aux sonorités agressivement froides et angoissées du post-punk et des tout premiers vagissements de la new-wave, l’Allemagne invente sa propre alternative, à travers l’étiquette fourre-tout de Neue Deutsche Welle ou NDW, sous laquelle on regroupera des groupes aussi différents que Der Plan, DAF, Einstürzende Neubauten, Die Krupps ou ce qui allait devenir P16.D4. C’est lors d’un calamiteux festival post-punk à Mayence organisé en janvier 1980 par le groupe local Messehalle que Joachim Stender, le chanteur de celui-ci, déserté par ses propres troupes, allait être rejoint sur scène par Ralf Wehowsky, formant le noyau originel d’un groupe nommé P.D. Rapidement rejoints par Joachim Pense, un jeune professeur de guitare, le groupe, dont les initiales dissimulent le nom de Progressive Disco, commence alors à chercher sa voix. Comme l’explique Ralf Wehowsky, « Nos influences venaient aussi bien du punk et du rock psychédélique que de la musique nouvelle, de l’industriel et du disco, que nous mélangions à notre manière, en nous servant de bandes et d’une instrumentation rock classique ». Car là où il était de bon ton dans le punk de nier toute formation musicale et toute influence « sérieuse », Pense et Wehowsky disposent, outre d’une sérieuse expérience de la guitare, d’une culture musicale des plus étendues (ce dernier se souvenant qu’il écoutait Stockhausen à douze ans), allant des expériences les plus pointues des pionniers de l’électronique et de la musique concrète au krautrock et au jazz. Rien ou presque de ce bagage impressionnant ne transparait pourtant dans les œuvres initiales de P.D., si ce n’est peut-être une certaine inventivité dans les formes, le trio utilisant abondamment des bandes et cassant la structure rock en utilisant deux basses ou se passant vite d’une batterie, Achim Szepanski, second batteur du groupe en à peine quelques mois, vendant son instrument pour faire l’acquisition d’un synthétiseur Korg MS20. C’est sous cette forme de quatuor que P.D. enregistre son unique album, Inweglos, au croisement d’une electro-pop à la Der Plan, de l’ironie des Residents ou de la froideur mortifère de certains titres de Throbbing Gristle. Avec une froideur manifeste, le groupe se moque des clichés de la Neue Deutsche Welle et de ses références pas toujours assumées (Virilio, Baudrillard…) car, ainsi que le précise Wehowsky : « La différence principale entre nous et la Neue Deutsche Welle, c’était que, nous, nous savions ce que nous faisions ». Hautement conceptuelle sous ses dehors presque innocents, la musique de P.D aurait sans doute pu leur permettre une carrière honorable, si le groupe n’avait été handicapé par de constants changements de personnel, Ralf Wehowsky se trouvant souvent être le seul membre permanent de P.D. A quelques heures d’un concert, P.D se divisera même en deux entités distinctes : P.D, sur le point de muter en P16.D4 et un Permutative Distorsion plus proche de la Neue Deutsche Welle, Ralf Wehowsky étant là encore le seul membre commun aux deux formations. On le retrouvera d’ailleurs, ainsi que les autres membres de P.D. et du futur P16.D4 dans une pléthore de sideprojects, tous signés sur le propre label du groupe, Wahrnehmungen (Kasperle Killerpilz, LLL, Kurzschluss, Rogalli…) qui, nettement plus expérimentaux que P.D. dessinent déjà les contours de l’œuvre à venir.
Car il était temps pour Ralf Wehowsky d’entamer une nouvelle étape. « Il était devenu clair que j’étais le seul membre continuel de P.D., et J’ai donc décidé de changer le nom du groupe de façon à marquer à la fois la continuité et la rupture. Le nom a donc été « doublé » en ajoutant le nombre correspondant à la position des lettres dans l’alphabet (16 pour P et 4 pour D) ». Encore fluctuants, l’identité et le son des premières œuvres, sur cassette uniquement, signés P16.D4, Wer Nicht Arbeiten Will Soll Auch Nicht Essen ! et V.N.R.L., toutes deux parues en 1981, doivent encore beaucoup à l’héritage de P.D., même si des passages ouvertement expérimentaux témoignent d’une volonté de recherche plus grande. Sombre, poisseuse, la musique de P16.D4 s’articule alors encore autour d’instruments « traditionnels » tels qu’une basse, un saxophone ou une batterie, dont le jeu volontairement décalé n’offre jamais une réelle assise à des morceaux évoluant au confluent du krautrock, de l’industriel naissant et de la musique concrète. Il faudra pourtant attendre la sortie en 1984 du premier véritable album de P16.D4, Kühe In ½ Trauer, pour comprendre où le groupe, stabilisé autour de Ralf Wehowsky, Roger Schönauer et Ewald Weber voulait nous emmener. Radicalement éloigné de tout ce qui l’avait précédé, Kühe In ½ Trauer se construit autour du nouveau matériel acquis par le groupe, à savoir des magnétophones et une table de mixage. Aux instruments réellement audibles, P16.D4 préfère donc désormais l’enregistrement, forcément distancié et retravaillé d’improvisations, et si quelques bribes d’instruments venaient à transparaitre, ce serait comme simples sources sonores malléables traitées comme des samples avant l’heure, une technique qui permet au trio d’expérimenter sans fin sur la matière sonore, de faire voisiner ses propres instruments avec une foule d’emprunts extérieurs. Le travail n’est donc plus tant de l’ordre du jeu musical, ni même de la composition à proprement parler que de celui de l’assemblage, du découpage, du montage, avec une précision chirurgicale laissant peu de place à la spontanéité, ce qui expliquera sans doute le temps que mettra P16.D4 à composer chaque album. Il n’est qu’à lire les explications données par Ralf Wehowsky à propos de la construction d’ « Ekstase des Sozialismus » sur cet album, pour comprendre à quel point le processus est long et complexe : « Le morceau repose essentiellement sur une improvisation à trois, Ewald jouant du saxophone et les deux autres manipulant les sons de celui-ci en temps réel à l’aide de ring modulators, de filtres, de distorsion, etc. L’enregistrement, d’une durée initiale de dix minutes, a été ensuite monté pour être réduit à cinq, certaines parties ayant été complètement supprimées, d’autres répétées et d’autres encore déplacées à d’autres endroits dans le morceau. Tout a été complètement restructuré. Ceci a ensuite été combiné avec un enregistrement de piano et une bande avec des chœurs provenant d’un disque mis en boucle, les deux ayant été fortement édités pour s’accorder avec le saxophone. Pour la version finale, toutes les parties étaient bien sûr présentes, mais seul le saxophone était reconnaissable. Les autres pistes étaient quasiment en dessous du seuil de l’audition, mais pas en dessous de celui de la perception ». Particulièrement dense et travaillée, Kuhe in ½ Trauer se distingue nettement au milieu de la production industrielle de l’époque, non seulement par ses multiples niveaux de lectures, mais aussi par son attention portée au moindre détail, fut-il aussi infime qu’un cut de radio ou qu’une mélodie de piano empruntée et délicatement altérée pour apparaitre plus sinistre encore. Imprévisible, le chef d’œuvre inaugural qu’est Kuhe in ½ Trauer peut également partir dans n’importe quelle direction, souvent plusieurs fois par titre, sans donner pour autant l’impression que le groupe hésite sur la voie à suivre.
Avec ce premier album de P16.D4 apparait une notion qui demeurera essentielle tout au long de leur carrière discogaphique (et même ensuite, lors de leurs aventures en solo), celle du recyclage. Recyclage des sources sonores, recyclage des titres eux-mêmes, toute la musique de P16.D4 n’est au fond affaire que de réappropriation, de recontextualisation d’un matériau antérieur. Une orientation qui deviendra évidente dès le second album du groupe, Distruct, paru en 1984, qui s’organise autour de sons fournis sur cassette par la crème de la musique expérimentale du début des années 80, de Nurse With Wound à Nocturnal Emissions, en passant par De Fabriek, Die Todliche Doris, The Haters ou Merzbow. Evidemment, il n’est nullement ici question de remix, et si à aucun moment P16.D4 ne cherche à masquer ses sources, identifiant clairement l’apport de chacun sur les notes de la pochette, il serait vain de chercher à retrouver la patte de chaque artiste convié ici à participer, le trio opérant vis-à-vis de ses collaborateurs les mêmes méthodes de travail que sur ses propres sons où les extraits empruntés à des réalisations existantes. Retravaillées, déformées par divers effets, coupées, remontées, agrégées à d’autres sons produits par P16.D4 eux-mêmes retraités, les collaborations de Distruct sont avant tout là pour attester, comme l’indique Ralf Wehowsky, d’une communication entre artistes : « Dans des circonstances idéales, la notion d’auteur n’existe pas, il n’y a pas de séparation entre compositeur et interprète, et l’on assiste à un échange constant d’idées et d’éléments musicaux. Comme la plupart de notre production depuis le début était basée sur des cassettes que nous retravaillions sous diverses configurations, il n’y avait qu’un pas à faire pour passer à l’étape suivante, c'est-à-dire utiliser des cassettes d’autres personnes. Le but avec les échanges de cassettes, c’était de transformer leur contenu ». Echange, communication, deux autres données qui reviendront constamment dans l’œuvre de P16.D4, riche en apports extérieurs et en rencontres en tous genres. Musicalement, et malgré la diversité des sources traitées, Distruct échappe au caractère hétérogène qui marquent souvent ce type de productions (et qui apparaitra à l’inverse sur Tulpas, l’énorme compilation de titres de Ralf Wehowsky retravaillés par plusieurs générations d’expérimentateurs soniques, de Ryoji Ikeda à John Duncan), pour offrir au contraire un ensemble cohérent, enfin autant que peu l’être P16.D4. Car on croise tout de même de tout sur Distruct : des fragments d’opéra, des discours soviétiques, une guitare désaccordée, du saxophone, des violons en lambeaux, des attaques bruitistes saturées et métalliques, des marteaux-piqueurs, des field recordings, des chœurs malmenés, et quantité d’autres choses moins identifiables. Une nouvelle réussite, qui, outre le dialogue souhaité entre les artistes, propose également un vraie réflexion sur l’écoute, et sur les attentes de l’auditeur, qui ne sait jamais vraiment à quoi s’en tenir et doit accepter en bloc de se laisser désorienter au sein d’un univers aux contours sans cesse changeants.
On s’en doute, ce penchant croissant pour l’abstraction et une forme de composition finalement plus conceptuelle que musicale n’est pas pour rien dans la relative obscurité dans laquelle est toujours demeuré P16.D4 au contraire d’autres groupes proto-industriels de la même période. Et ce n’est pas l’album suivant, Nichts Niemand Nirgends Nie !, paru en 1986 sur Selektion (la nouvelle dénomination de Wahrnehmungen) qui va changer la donne. Nouvelle œuvre de collaboration, cette fois-ci en compagnie d’Achim Wollscheid, plasticien qui avait signé la pochette de Distruct, mais également musicien sous l’identité de S.B.O.T.H.I (Swimming Behaviour Of The Human Infant), NNNN ! voit les deux formations expérimenter l’une après l’autre les divers aspects d’une collaboration. Ainsi, sur les deux premières faces d’un double vinyle, ce sont tout d’abord P16.D4 puis S.B.O.T.H.I qui composent des pièces musicales à partir d’éléments bruts fournis par l’autre participant. La troisième face voit les deux formations improviser ensemble, tandis que la dernière pousse encore plus loin le concept du recyclage, puisque le premier titre de P16.D4 est composé à partir de sources sonores tirées des trois premières faces du vinyle, que S.B.O.T.H.I recycle à son tour cette nouvelle création, et que P16.D4 boucle l’opération en s’appropriant les deux premiers titres de la face. Une œuvre complexe, exigeante, et hélas pratiquement impossible à écouter aujourd’hui dans sa globalité, puisque les rééditions (y compris celle de Passagen) ont choisi d’isoler les pistes de P16.D4 et de négliger celles de S.B.O.T.H.I. Reste un aperçu passionnant de ce qui est sans doute l’une des réalisations les plus abouties de la « famille » P16.D4, où le concept est toujours mis en action de manière a éviter la simple sécheresse analytique.
On s’en doute, ce penchant croissant pour l’abstraction et une forme de composition finalement plus conceptuelle que musicale n’est pas pour rien dans la relative obscurité dans laquelle est toujours demeuré P16.D4 au contraire d’autres groupes proto-industriels de la même période. Et ce n’est pas l’album suivant, Nichts Niemand Nirgends Nie !, paru en 1986 sur Selektion (la nouvelle dénomination de Wahrnehmungen) qui va changer la donne. Nouvelle œuvre de collaboration, cette fois-ci en compagnie d’Achim Wollscheid, plasticien qui avait signé la pochette de Distruct, mais également musicien sous l’identité de S.B.O.T.H.I (Swimming Behaviour Of The Human Infant), NNNN ! voit les deux formations expérimenter l’une après l’autre les divers aspects d’une collaboration. Ainsi, sur les deux premières faces d’un double vinyle, ce sont tout d’abord P16.D4 puis S.B.O.T.H.I qui composent des pièces musicales à partir d’éléments bruts fournis par l’autre participant. La troisième face voit les deux formations improviser ensemble, tandis que la dernière pousse encore plus loin le concept du recyclage, puisque le premier titre de P16.D4 est composé à partir de sources sonores tirées des trois premières faces du vinyle, que S.B.O.T.H.I recycle à son tour cette nouvelle création, et que P16.D4 boucle l’opération en s’appropriant les deux premiers titres de la face. Une œuvre complexe, exigeante, et hélas pratiquement impossible à écouter aujourd’hui dans sa globalité, puisque les rééditions (y compris celle de Passagen) ont choisi d’isoler les pistes de P16.D4 et de négliger celles de S.B.O.T.H.I. Reste un aperçu passionnant de ce qui est sans doute l’une des réalisations les plus abouties de la « famille » P16.D4, où le concept est toujours mis en action de manière a éviter la simple sécheresse analytique.
Publié l’année suivante, Tionchor est la réunion de titres parus à partir de 1982 sur différentes compilations, et offre pour le coup, une vue transversale de l’œuvre de P16.D4, de ses débuts encore ancrés dans une certaine forme de rock déviant à son évolution vers toujours plus d’abstraction. On y trouve entre autres, les germes de ce qui allait devenir Distruct, à travers une collaboration avec Onnyk et une autre avec S.B.O.T.H.I., qui anticipe NNNN !, même si elle n’a été finalisée qu’après la sortie de l’album, d’où son titre de « 85/86/83 », identifiant clairement la date de création des trois sections qui la composent. Nouvel album hybride, Three Projects compilera trois courts projets ayant impliqué P16.D4 : Bruitiste, Captured Music et Fifty et s’avère hélas la première sortie décevante du groupe allemand. En particulier du fait de Bruitiste, tiré d’une compilation, qui n’est qu’une suite de titres peu inspirés réalisés dans leur majorité non pas par P16.D4 dans son intégralité, mais par diverses personnes plus ou moins affiliées au groupe, qui donnent ici leur propre mouture de P16.D4. Assez anecdotique, Bruitiste s’accompagne fort heureusement de Captured Music, qui constitue quasiment le seul enregistrement live de P16.D4 qui, du fait de ses méthodes de travail, n’affectionnait que peu la scène, et surtout de Fifty, quatre superbes titres en collaboration avec Merzbow, bien plus apaisés que ce qu’une telle rencontre aurait pu laisser supposer.
Déjà posthume, puisque le groupe s’est séparé en 1988 suite au déménagement dans une autre ville de Ralf Wehoswky pour raisons professionnelles (P16.D4 n’ayant jamais été capable de nourrir ses membres). Three Projects sera suivi par le dernier véritable album de P16.D4, acRID acME [OF] P16.D4, dont la typographie met en évidence les mots « Rid me of P16.D4 » (débarrassez-moi de P16.D4), le disque le plus radical jamais produit par le groupe allemand, qui n’en était pourtant pas à son coup d’essai en ce domaine. Publié avec un avertissant ironique indiquant qu’il est « antisocial de jouer ce disque en public », acRID acME [OF] P16.D4 est divisé en quatre sections distinctes offrant toutes un aperçu sur une facette du travail du groupe. Les trois premiers titres sont des recyclages de morceaux composés en 1981 et réduisent en fragments tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une influence rock. Déstructurés, coupés, hasardeux, ces titres tiennent autant du collage anarchique qu’ils anticipent déjà le glitch à venir. Aux tables de mixage s’ajoutent des platines vinyles, qui rejouent les compositions originales pour mieux les démembrer dans un tourbillon de sons. Le second « mouvement » est pour sa part composé de nouveaux titres live capturés lors du festival Captured Music, à la fois rêches et distants. La troisième section ne comporte que deux titres, qui sont des improvisations captées en direct, recyclage à partir de platines d’anciens titres déjà publiés, qui démontrent que P16.D4, même s’ils ont opté très tôt pour une approche délibérément conceptuelle du son, n’ont jamais vraiment cessé d’improviser, même si l’improvisation ici est perturbée, en permanence par des bugs, des coupures sèches, un sentiment général de destruction imminente. Enfin, c’est par une collaboration que P16.D4 clôt définitivement son parcours, à travers une nouvelle piste de près de vingt minutes en compagnie de Merzbow, là encore étonnamment calme.
Déjà posthume, puisque le groupe s’est séparé en 1988 suite au déménagement dans une autre ville de Ralf Wehoswky pour raisons professionnelles (P16.D4 n’ayant jamais été capable de nourrir ses membres). Three Projects sera suivi par le dernier véritable album de P16.D4, acRID acME [OF] P16.D4, dont la typographie met en évidence les mots « Rid me of P16.D4 » (débarrassez-moi de P16.D4), le disque le plus radical jamais produit par le groupe allemand, qui n’en était pourtant pas à son coup d’essai en ce domaine. Publié avec un avertissant ironique indiquant qu’il est « antisocial de jouer ce disque en public », acRID acME [OF] P16.D4 est divisé en quatre sections distinctes offrant toutes un aperçu sur une facette du travail du groupe. Les trois premiers titres sont des recyclages de morceaux composés en 1981 et réduisent en fragments tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une influence rock. Déstructurés, coupés, hasardeux, ces titres tiennent autant du collage anarchique qu’ils anticipent déjà le glitch à venir. Aux tables de mixage s’ajoutent des platines vinyles, qui rejouent les compositions originales pour mieux les démembrer dans un tourbillon de sons. Le second « mouvement » est pour sa part composé de nouveaux titres live capturés lors du festival Captured Music, à la fois rêches et distants. La troisième section ne comporte que deux titres, qui sont des improvisations captées en direct, recyclage à partir de platines d’anciens titres déjà publiés, qui démontrent que P16.D4, même s’ils ont opté très tôt pour une approche délibérément conceptuelle du son, n’ont jamais vraiment cessé d’improviser, même si l’improvisation ici est perturbée, en permanence par des bugs, des coupures sèches, un sentiment général de destruction imminente. Enfin, c’est par une collaboration que P16.D4 clôt définitivement son parcours, à travers une nouvelle piste de près de vingt minutes en compagnie de Merzbow, là encore étonnamment calme.
A cette discographie figurant presque intégralement dans le luxueux box Passagen avec des titres bonus sur chaque disque (mais peu de vraies nouveautés par rapport aux dernières rééditions en date), il convient néanmoins d’ajouter le DVD Ethereal Ephemera, figurant lui aussi dans Passagen, pièce inestimable qui permet de voir enfin P16.D4 à l’œuvre, à travers les films projetés sur l’écran derrière lequel le groupe jouait lors du festival Captured Music, mais également à travers des vidéos « de travail » montrant l’enregistrement d’une pièce à base de rasoirs électriques posés sur des cordes de piano dont le son est capturé de manière très brute par des micros manipulés sans ménagement, une séance de destruction de matériel capté d’en haut comme par une caméra de surveillance, des expérimentations super-8 ou vidéo, et même une improvisation filmée qui nous montre le groupe s’amuser comme des petits fous à faire un boucan d’enfer. Complément essentiel de l’œuvre sonore de P16.D4, ce simple DVD suffirait à lui seul à justifier l’existence de Passagen, tant il sort enfin le groupe de l’anonymat souvent volontaire dans lequel s’est déroulé une bonne partie de son existence.
P16.D4 séparé, et après une éphémère collaboration sous le nom de SLP avec l’intégralité des membres de P16.D4, auxquels s’ajoutent des plasticiens gravitant dans la sphère du label Selektion, Achim Wollscheid et le revenant Joachim Pense, qui publiera un unique album éponyme basé – recyclage encore – sur un travail à quatre platines autour de la quatrième face de l’album NNNN !, la plupart des anciens membres et affiliés du groupe disparaissent des radars pour de bon (à l’exception d’Achim Wollscheid qui, après S.B.O.T.H.I . se lance dans une carrière florissante de plasticien, réalisant des installations, souvent en milieu urbain, dont la dimension sonore n’est que rarement absente, et signe quelques albums tirés de ses créations radiophoniques, tandis qu’Achim Szepanski, éphémère batteur, ira fonder le label Mille Plateaux, dont l’influence sur les musiques électroniques radicales ne saurait être négligée). Seul l’infatigable Ralf Wehowsky n’en demeure des plus productifs, et publie dès 1992 un premier album solo, Acht, qui sera suivi de nombreux autres, sous l’identité de RLW ou, dès lors qu’il collabore avec d’autres artistes, sous son nom propre. Au cours des deux dernières décennies, on croisera donc Wehowsky en compagnie entre autres de Bernhard Günter, Tomas Korber, Anla Courtis, Andrew Chalk, Kevin Drumm, Aube ou Lionel Marchetti, tandis que ses pièces s’aventurent dans des domaines bien plus minimalistes, où les espaces dévolus au silence prennent de plus en plus d’ampleur. Après avoir jeté des ponts plus que conséquents entre l’industriel naissant et la musique concrète, Ralf Wehowsky accompagne donc désormais les développements les plus radicaux de la musique électronique, non sans renier les dominantes qui ont été les siennes depuis les tout débuts de P16.D4, à savoir la recherche conceptuelle, la collaboration et le recyclage. Une œuvre elle aussi complexe, exigeante, qui mériterait à elle seule un panorama complet...et un coffret de l’ampleur de Passagen.
Note : Ce parcours au sein de l’œuvre de P16.D4 n’aurait sans doute pas été possible sans l’exceptionnel travail de recherche mené par Eric Duboys dans Industrial Musics Volume 2 (Camion Blanc) où il s’attache, en plus de mille pages, à donner enfin la visibilité requise à des artistes discrets jusqu’à l’effacement comme Maurizio Bianchi, P16.D4, Zoviet France, The Haters, Merzbow ou David Jackman. Qu’il en soit ici chaudement remercié.
P16.D4 séparé, et après une éphémère collaboration sous le nom de SLP avec l’intégralité des membres de P16.D4, auxquels s’ajoutent des plasticiens gravitant dans la sphère du label Selektion, Achim Wollscheid et le revenant Joachim Pense, qui publiera un unique album éponyme basé – recyclage encore – sur un travail à quatre platines autour de la quatrième face de l’album NNNN !, la plupart des anciens membres et affiliés du groupe disparaissent des radars pour de bon (à l’exception d’Achim Wollscheid qui, après S.B.O.T.H.I . se lance dans une carrière florissante de plasticien, réalisant des installations, souvent en milieu urbain, dont la dimension sonore n’est que rarement absente, et signe quelques albums tirés de ses créations radiophoniques, tandis qu’Achim Szepanski, éphémère batteur, ira fonder le label Mille Plateaux, dont l’influence sur les musiques électroniques radicales ne saurait être négligée). Seul l’infatigable Ralf Wehowsky n’en demeure des plus productifs, et publie dès 1992 un premier album solo, Acht, qui sera suivi de nombreux autres, sous l’identité de RLW ou, dès lors qu’il collabore avec d’autres artistes, sous son nom propre. Au cours des deux dernières décennies, on croisera donc Wehowsky en compagnie entre autres de Bernhard Günter, Tomas Korber, Anla Courtis, Andrew Chalk, Kevin Drumm, Aube ou Lionel Marchetti, tandis que ses pièces s’aventurent dans des domaines bien plus minimalistes, où les espaces dévolus au silence prennent de plus en plus d’ampleur. Après avoir jeté des ponts plus que conséquents entre l’industriel naissant et la musique concrète, Ralf Wehowsky accompagne donc désormais les développements les plus radicaux de la musique électronique, non sans renier les dominantes qui ont été les siennes depuis les tout débuts de P16.D4, à savoir la recherche conceptuelle, la collaboration et le recyclage. Une œuvre elle aussi complexe, exigeante, qui mériterait à elle seule un panorama complet...et un coffret de l’ampleur de Passagen.
Note : Ce parcours au sein de l’œuvre de P16.D4 n’aurait sans doute pas été possible sans l’exceptionnel travail de recherche mené par Eric Duboys dans Industrial Musics Volume 2 (Camion Blanc) où il s’attache, en plus de mille pages, à donner enfin la visibilité requise à des artistes discrets jusqu’à l’effacement comme Maurizio Bianchi, P16.D4, Zoviet France, The Haters, Merzbow ou David Jackman. Qu’il en soit ici chaudement remercié.