Alors que l’on attend pour l’an prochain un nouvel album du trio de Basildon, les nouveautés ne manquent pas en marge du clan Depeche Mode, avec d’un côté Recoil d’Alan Wilder qui publie un Blu-Ray proprement monumental tandis que les vieux comparses Vince Clarke et Martin Gore s’ébattent dans une techno minimale et moderne sous le nom de VCMG. Commençons par Alan Wilder, qui lorsqu’il a décidé en 2010 de sortir enfin Recoil du studio pour l’amener sur scène s’est rapidement heurté à un problème de taille auquel se trouvent toujours confronté un jour où l’autre les musiciens œuvrant dans l’électronique. Comment présenter de manière scénique une musique ne pouvant être mise en place autrement que par des logiciels, et dont tous les nombreux intervenants vocaux seront absents sur scène. Embaucher un chanteur « générique » ? Feindre de jouer sur des synthés en tapant dans les mains ? Aucune solution ne paraissait honnête à Alan Wilder qui a par ailleurs toujours étayé son refus de se produire sur scène par ce simple constat. Il lui fallait donc inventer une forme nouvelle d’événements, quitte à ne pas considérer ses prestations comme des concerts. Ainsi est né le concept A Strange Hour : une sorte de présentation multimédia où l’image compte autant que la musique, où le contexte est clairement mis en avant, Alan Wilder et Paul Kendall , son comparse sur scène ne cherchant à aucun moment à cacher le fait que les sons proviennent de leurs laptops. Ni concert donc, ni DJ-set, ni installation sonore, les spectacles de la série A Strange Hour réinventent l’ADN de Recoil en profondeur, amalgament les titres, décomposent et recomposent à l’envi des passages issus de la discographie d’Alan Wilder, que ce soit avec Recoil ou avec Depeche Mode, sans négliger d’intégrer des apports extérieurs comme Boards of Canada, Gary Numan ou le « Warm Leatherette » de The Normal, clin d’œil à Daniel Miller qui l’a toujours soutenu via Mute. Encore plus fluides qu’à l’accoutumée, les morceaux de Recoil, remixés en direct par un mélange d’éléments préprogrammés et de sons lancés par Wilder et Kendall, deviennent une matière nouvelle, réinventent des narrations, passent, souvent dans un même titres de climats trip-hop ou breakbeat à des rythmes techno, se répondent, reviennent en ponts à d’autres moments, à l’image d’un « Never let me down again » qui se fond dans un « In your Room » en version dub avant de le dynamiter de l’intérieur, de « Stalker » et « Faith Healer », deux participations de Douglas McCarthy de Nitzer Ebb qui deviennent comme un bloc compact et insécable, ou de « Warm Leatherette » qui s’insinue bien avant d’apparaitre pour de bon. Expérience de laboratoire menée en direct, A Strange Hour in Budapest, enregistré lors de la dernière date de la tournée de Recoil, se devait d’avoir un écrin à la hauteur de ses qualités, et Alan Wilder n’a pas lésiné sur les moyens puisqu’il a autoproduit un magnifique Blu-Ray pour la circonstance. Image au piqué impeccable, son surround époustouflant, remixes, clips et projections de scène en bonus, A Strange Hour in Budapest est un monument en continuel mouvement, le chef d’œuvre d’un musicien préoccupé tout autant des notions de diffusion et de contexte que de la simple composition de chansons, et qui a d’ailleurs décidé de poursuivre l’exploration plus loin encore puisque, après avoir inventé ce format hybride, il présente désormais lors de dates sélectionnées, le Blu-Ray lui-même tout en intervenant, ajoutant un degré de réification supérieur. Alors qu’il est de bon ton, dans le discours ambiant, d'affirmer que « le son a sa vie propre », Alan Wilder le démontre ici (à ce titre, 1+2, ses premiers exercices sous l’identité de Recoil où il retravaillait des échantillons de Depeche Mode dès 1986 faisait plus qu’anticiper ses recherches actuelles), et A Strange Hour in Budapest fait figure de preuve incontestable. Plus ludiques, les retrouvailles de Vince Clarke et Martin Gore sous l’identité transparente de VCMG sont surtout pour les deux vétérans de la musique électronique l'occasion de se frotter avec celle qu’ils ont indirectement engendré, la techno minimale dont ils ont fait le corps de leur album Ssss, non sans y intégrer leur propre background mélodique et leur science du traitement du son. Dernier maxi à paraitre pour le projet, EP3/Aftermaths est un titre de techno puissante et rêche, pour lequel VCMG réunit un casting de remixeurs de rêve, bien plus passionnant que celui de ses deux premiers maxis. Plus musclé qu’à l’accoutumée, Alva Noto fait néanmoins dans la froideur glaçante et Christoffer Berg dans les climats aquatiques, tandis que Gesaffelstein durcit le ton, et que LFO déroule une techno sèche et énergique, traversée d’échos radars. Reste à Vince Clarke le soin de clore (temporairement ?) l’aventure, ce dont il s’acquitte à travers ce qui commence comme un pied de nez bancal avant de rebondir vers une version entêtante de ce qui s’avère décidément l’un des meilleurs titres de VCMG. A-t-on encore besoin d’un nouveau Depeche Mode, finalement ?
Recoil : A Strange Hour in Budapest (Recoil / Alfa Matrix) / VCMG : EP3 / Aftermaths (Mute)10/23/2012
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December 2013
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